Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/59

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on est pas gendarme on s’occupe pas de ces histoires-là, pas vrai ?

Assurément, ce fier empoigneur ne pensait pas un mot de ce qu’il venait de me dire ; son langage n’était dû qu’a la crainte de me voir emballer.

Mon dénonciateur n’était pas plus tôt parti que ce fut le tour du patron de l’auberge à venir me dévisager.

— C’est bien lui, dit-il à l’un des gendarmes, tout en me regardant en riant.

Puis, s’adressant à moi :

— C’est bien vous qui m’avez payé les consommations avec une pièce en or de dix francs, n’est-ce pas ?

Je le fixai du regard sans lui répondre.

— Il voudrait bien que ces coups-là arrivent tous les jours, dit en riant le gendarme rouspéteur. Depuis ce matin en a-t-il encaissé des picaillons !… Dis, vieux brigand ! Essaye de dire le contraire, ajouta-t-il en faisant le simulacre de lui taper sur le ventre.

— Sûr que si les journées étaient toujours comme celle-là, je serais pas longtemps à me retirer des bistouilles, dit le gargotier en ricanant.

Et je pensai alors au mot de Montaigne ; Le bonheur des uns n’est fait que du malheur des autres.

Soudain, comme des abeilles dérangées dans leur ruche, les badauds se bousculèrent en bourdonnant. Les abords de la porte vitrée, où les curieux se tenaient en observation pour me voir, s’éclairèrent peu à peu, à mesure que la foule se portait de l’autre coté de la voie.

C’était Pélissard qui arrivait.

— Bon, mes agneaux. Je vous y attendais à ce coup-là, dit Boule de Suif qui venait d’entrer, se traînant plus poussif que jamais, en se parlant à lui-même.

— Allez, ouste ! Là, vous autres, ajouta-t-il en s’adressant à ses hommes, profitons du mouvement. Établissez-moi un cordon devant cette porte, et ne les laissez plus approcher.

Puis, s’adressant à moi :

— Tenez, jeune homme. Regardez donc un peu la tête de votre ami. Et, du geste, il me désignait Pélissard, entouré par la foule.