Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/63

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Comme une traînée de poudre la nouvelle arrive : puis comme une tâche d’huile, elle s’étend, s’agrandit, s’éparpille. De ci de là des groupes se forment : on jase, on commente, on discute ; c’est la question du jour, le même mot est sur toutes les lèvres : le crime de Pont-Rémy. En parlant, on attrape soif : on boit donc…

À 10 heures une fausse nouvelle annonce notre arrestation. Quelle joie ! C’est du délire : on va pouvoir regarder l’assassin. Et aussitôt, Paul de quitter l’usine, Pierre l’atelier…

— On les mènera en voiture, par la route, dit Pierre.

— Non, répond un autre. On les conduira en chemin de fer.

Et, partagée entre ces deux opinions, la foule se sépare en deux parties. L’une va aux abords de la gare ; l’autre, aux confins d’Abbeville, sur la route, à portée d’un mastroquet.

Pendant l’attente les langues vont leur train, les gosiers se sèchent : on boit encore…

À midi, un bicycliste crotté jusqu’aux oreilles arrive par la route, et annonce la nouvelle de mon arrestation.

— C’est-y vrai, cette fois ? Demande un incrédule.

— Si c’est vrai ! Je l’ai vu, vu comme je vous vois.

— Oh ! Alors ! Il va bientôt arriver.

Et tous en chœur de répéter :

— Il va bientôt arriver.

— Dis donc françois ? Si qu’on s’enfilerait encore une bistouille en attendant… j’ai soif, moi ; et toi ?

— J’allais te le dire, mon vieux !

Et tous deux, bras dessus bras dessous, s’en vont bistouiller. Presque tous les imitent. Les cabarets s’emplissent.

Un moment après, une femme entre, deux gosses pendus à son tablier.

— Ben ! François ! T’as pas honte de boire ton argent. Qu’est-ce qu’on mangera…

L’ouvrier déjà allumé, titubant presque :

— Viens donc trinquer avec nous, hé ! Vieille garce !

Soumise, contente même, la garce, les narines dilatées par les puantes évaporations