— Tiens ! M’interrompit l’avocat, j’ai déjà entendu soutenir cette théorie en cour d’assises : un nommé Duval, si j’ai bonne mémoire, ajouta-t-il après quelques secondes de réflexion.
— Mais, puisque vous veniez de commettre un vol, me dit le député, il était tout naturel que les agents vous arrêtassent.
— Le naturel n’a rien à faire dans la question, lui dis-je. Dites plutôt leur avantage.
— Ils ont obéi à la loi.
— D’accord ; mais pour eux la loi est un avantage.
— Non ; c’est un devoir ; devoir pour tous les citoyens, du reste.
— Des mots que cela !
— Comment ! des mots ?
— Oui… des mots… des mots pleins de sophisme, ajoutai-je en haussant les épaules. Si les animaux avaient la parole, nous entendrions l’âne parler paille, le cheval avoine, le porc pomme de terre au même titre, pour la même raison, pour mieux dire, que le militaire parle consigne pour tuer, le prêtre religion pour tromper, le geôlier règlement pour torturer, le policer et le magistrat loi : l’un pour arrêter, l’autre pour condamner. Et les uns et les autres ils en vivent, ils s’en repaissent. Le rentier, le propriétaire, le commerçant, l’industriel, tout capitaliste enfin parlent aussi loi, pour voler. Que cette poignée de fripons aiment, chérissent la loi ; qu’ils s’en gargarisent la bouche avec emphase et béatitude, cela s’explique, cela est dans l’ordre de votre société pourrie, puisque la loi est faite par eux et pour eux. Elle est le râtelier des uns et le bouclier des autres.
— Erreur ! M’interrompit M. Canache. L’égalité sert de principe à la loi. Qu’un riche vienne à commettre un délit, un crime ? Il sera tout aussi bien puni qu’un pauvre…
— La bonne blague ! « Qu’un riche vienne à commettre un délit. » Mais, monsieur, lui répondis-je, les riches n’ont pas à commettre de délits, de crimes, puisqu’ils volent, qu’ils tuent avec l’appui des lois, légalement. Ils ne cambriolent pas, eux, ils commercent, ils agiotent ; ils n’ont pas à défendre leur liberté contre l’agression d’agents du pouvoir, puisqu’ils sont le pouvoir et que leurs valets les protègent au lieu de les attaquer. Ils ne tuent pas deux agents de police, ils exterminent patriotiquement des milliers de prolétaires. La loi n’atteint donc pas le riche, sa fortune la domine. Être riche, c’est être honnête…
— Il est vrai que les riches n’ont pas grand mérite à être vertueux… dit Me Ternois.
— Vous dites que la loi a pour principe l’égalité ! Repris-je en m’adressant au député. Mais, monsieur, les faits sont là pour démentir votre assertion. Exemple : un escroc ganté et en haut-de-forme, un financier pour l’appeler par son nom, ruine mille pères de famille en les détroussant de leurs modestes économies. Mais