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Marguerite, etc., la fine fleur du répertoire des cafés concerts de province.

Par une singulière convention, le jeudi, au lieu de la réunion commune habituelle, les messieurs et les dames formaient deux bandes ayant chacune une réunion particulière.

Dans la réunion des hommes, notre militaire mélomane chantait son répertoire pour Messieurs entièrement tiré du Panier aux ordures de Gouffé, commenté, augmenté et embelli. La maison où l’on se réunissait était une peu isolée dans le haut de la ville, et les voisins ne se plaignaient pas ; bien loin de là. Comme la chaleur obligeait de tenir les fenêtres ouvertes, ils prenaient leur part de la fête. Une douzaine de polissons des deux sexes, arrêtés dans la rue, écoutaient la voix tonitruante du baryton improvisé, et complétaient gratis une éducation artistique, à la fois morale et musicale. Mais la curiosité naturelle aux filles d’Ève fit que ces dames du monde, qui avaient eu vent de la chose, grillèrent un jour du désir d’entendre ce répertoire spécial qu’elles ne pouvaient écouter dans leurs salons. Elles usèrent du stratagème suivant. Un jeudi soir elles devaient, avaient-elles dit la veille, passer la soirée féminine chez l’une d’elles, dont la maison était située à l’autre bout de la ville. Mais nuitamment, elles se rendirent au contraire dans une maison située presque en face du lieu de réunion des Messieurs. Là, réunies, sans lumière pouvant les trahir, et toutes les fenêtres ouvertes, elles étaient aux premières loges pour entendre le répertoire érotique, sans qu’on pût soupçonner leur présence.

Précisément ce soir-là, l’artiste incompris, se sentant en verve, choisit son répertoire le plus corsé, et les tiv, les enip, les luc et les noc, résonnaient comme des coups de tam-tam. Nos friandes n’en perdirent pas un seul mot.