Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/123

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partout. Il est arrivé trop tard à Malte, elle lui échappe par hasard à Candie. Il fait force de voiles vers Alexandrie et cette hâte encore lui est funeste. Il ne trouve pas l’escadre française, il croit qu’elle se dirige vers la Syrie, quitte le port pour la poursuivre et la croise de nuit à cinq lieues de distance. Qu’il fit jour ou que Nelson eût pris sa route un peu plus à gauche, et le désastre d’Aboukir avait lieu avant que l’armée eût débarqué.

Cette fortune, qui ne devait pas être la dernière, a fait croire à l’étoile de Bonaparte. Il s’est servi de cette croyance. Il ne l’a que faiblement partagée. Quand Letizia, bonne mère, disait à l’empereur : « Tu travailles trop ! » il répondit : « Est-ce que je suis un fils de la poule blanche ? » C’est une expression corse qui équivaut à « être né coiffé ». Nous sommes trop portés à croire, nous qui connaissons la suite, que Bonaparte lisait dans l’avenir à livre ouvert. Il n’avait pas plus de certitudes que les autres hommes. Et la prodigieuse aventure d’Égypte n’était pas propre à convaincre un esprit comme le sien que, quoiqu’il fît, le succès lui fût assuré. Le désastre naval d’Aboukir, l’échec devant Saint-Jean-d’Acre, comme les mauvaises heures qu’il avait passées en Italie avant Castiglione, l’eussent averti, à défaut de l’instinct, que son astre n’était pas infaillible. « Allez donc voir les Pyramides. On ne sait pas ce qui peut arriver », avait-il dit à Vivant-Denon le lendemain du débarquement d’Alexandrie. Mais cette expédition fantastique, dont il se tira à son avantage et contre toute raison, fit grandir chez les Français cette impression, née des événements extraordinaires que l’on avait déjà vus, que « tout était possible ». Impression plus forte encore lorsqu’on aura mesuré l’ascension prodigieuse du général et de ceux qui, à sa suite, seront devenus princes et rois, quand rien ne semblera plus invraisemblable puisque tout aura été vrai.

Parmi ces possibilités indéfinies dont la perspec-