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NAPOLÉON

nouveaux auraient raison des sentiments et des préjugés.

La rupture de la paix d’Amiens date du 16 mai 1803. Le sénatus-consulte qui défère au premier Consul la couronne impériale est du 18 mai 1804. Qu’y a-t-il donc dans l’espace de ces douze mois ? De quoi sont‑ils remplis ? De victoires ? Nullement. On ne s’est pas encore battu. La création d’une monarchie héréditaire en faveur de Napoléon Bonaparte ne sera pas une récompense. La destination de cette monarchie sera d’être « un bouclier ».

L’état de guerre est revenu et, pourtant, Bonaparte n’a pas livré de batailles ni cueilli de nouveaux lauriers. C’est que, sur le continent, l’Angleterre n’a pas encore embauché d’alliés, qu’elle n’a pas encore réussi à renouer une coalition. D’un bord à l’autre de la Manche, comment les deux adversaires pourraient‑ils s’étreindre ? L’Anglais à l’abri dans son île, ses escadres cherchent les navires français qui se dérobent. De temps en temps, sur les côtes de France, un port est bombardé. Le premier Consul riposte par les représailles ordinaires de la prohibition commerciale, par l’arrestation de tous les Anglais qui résident en France. Ces hostilités, en quelque sorte théoriques, aussi épuisantes que languissantes, pourraient s’éterniser sans résultat. Alors, Bonaparte revient à la vieille idée de l’invasion, passer le détroit, débarquer, dicter la paix à Londres, tandis que William Pitt remonté au pouvoir travaille à coaliser l’Europe. Pendant ces douze mois, l’avenir se prépare, se dessine, tandis que recommence le passé. On retourne à la situation de 1789 et déjà celle de 1814 s’entrevoit.

La France reprenait la lutte sans enthousiasme, avec résignation, comme devant une fatalité. On avait tellement cru que c’était fini, qu’on jouirait enfin d’un repos bien gagné ! Bonaparte lui-même, avec cette rapidité et cette mobilité d’esprit qui lui faisaient voir les choses sous leurs aspects divers,