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NAPOLÉON

tard, regrettait d’avoir donné un maître à la République. On allait jusqu’à murmurer que Réal, le chef de la Police, n’était pas sûr. Et la méfiance était telle qu’à tout instant les officiers de la Garde étaient changés pour qu’ils ne prissent pas sur les hommes une influence dangereuse.

Ce que la conspiration avait d’étendu et de multiple, la diversité même de ses éléments, fut probablement ce qui sauva Bonaparte. On se demande pourquoi un conspirateur aussi résolu que Georges, après avoir organisé l’enlèvement du premier Consul et tout prévu dans les détails, perdit quatre ou cinq mois, laissa des dévouements se refroidir, des secrets transpirer, sans passer à l’exécution. Mais royalistes et républicains n’étaient unis que pour renverser l’usurpateur, et Georges, seul capable de réussir l’entreprise, ne voulait pas avoir travaillé pour un autre général de la République. Il attendait qu’un des princes fût arrivé secrètement à Paris de telle sorte que, le coup fait, la restauration des Bourbons fût à l’instant proclamée, Moreau étant la dupe de l’opération. Le plan, à y réfléchir, était à la fois trop compliqué et trop simple. Et puis les semaines s’écoulèrent sans que le prince parût. Le temps perdu par les conjurés, Bonaparte le gagnait pour la défense et pour la riposte, tandis que ses adversaires, n’ayant ni les mêmes convictions ni le même but, n’hésiteraient pas à se trahir les uns les autres.

Menacé, traqué, « point de mire » d’ennemis acharnés et invisibles, devenu le « chien qu’on peut assommer dans la rue », certes, Bonaparte connut des journées d’énervement. Il méditait une vengeance, un « coup » pour répondre, en le parant, à celui qui devait l’abattre, et pour terroriser à son tour. Mais, dans un cerveau comme le sien, l’idée de vendetta cédait vite à des pensées moins sommaires. Il voyait plus loin, au-delà du talion. Dans un déroulement fécond de conséquences, un acte