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LE FOSSÉ SANGLANT

Pichegru, de Moreau. Un chouan irréductible, un général de la Révolution passé à Louis XVIII, un autre général, idole des officiers républicains, l’étrangeté de cet assemblage sert encore Bonaparte en le situant d’une autre manière au-dessus des partis puisqu’il est en butte à la haine de tant d’opposants. Mais surtout, l’évidence ayant éclaté que les conspirateurs en voulaient à sa personne, le désir en devient plus vif de décourager les assassins. « Laisser les choses comme elles sont compromet cette tête, d’où dépend la conservation des nôtres », disait Rœderer, aussi actif pour la monarchie napoléonienne qu’il avait été, en brumaire, pour le Consulat de Bonaparte. Dans une lettre citée par Méneval, Joseph indique même que son frère comprend enfin que l’hérédité est « protectrice », qu’on l’a « prise comme un bouclier ». Chose curieuse, mal vue : le 21 janvier, l’acte terrible, encore si présent aux esprits, sert lui‑même d’argument pour relever un trône. Malgré le régicide, n’y a-t-il pas toujours des Bourbons et des royalistes ? On tue un homme. On ne tue pas une dynastie. C’est pourquoi il faut en faire une. Fauchet l’avait dit à la Convention, parlant de Louis XVI : « Sa famille mourra‑t‑elle du même coup qui le frappera ? D’après le système de l’hérédité, un roi ne succède-t-il pas immédiatement à un autre ? » La mort d’un dictateur termine tout. Celle d’un roi, rien. Tel sera désormais le « bouclier » de Bonaparte.

Mais ce nom de roi sonne mal aux oreilles. On prendra celui d’empereur qui suit celui de Consul, comme un avancement régulier. Pour une génération nourrie d’histoire romaine, l’Empire, qui n’est pas la royauté, succède normalement à la République. N’est-ce pas même quelque chose de plus grand que la royauté ? Empereur est le titre que les rois de France ont désiré quelquefois, qui a échappé aux Français depuis Charlemagne, qui convient à une Gaule étendue jusqu’au‑delà de ses limites. Alors