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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/312

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L’OUVRAGE DE TILSIT

doit apporter le dénouement. C’est que, l’été rendant possible la reprise des opérations, les Russes eux-mêmes attaquent. Qu’ils se retirent au contraire, qu’ils laissent Napoléon devant le vide, qu’ils l’obligent soit à les poursuivre (et jusqu’où ?), soit à attendre (jusqu’à quand ?) et ce sera déjà tout 1812. Alors, chose essentielle pour comprendre ce qui se passera, 1807 est un 1812 qui réussit, qui amène la paix et l’alliance avec la Russie parce que les Russes, au lieu de rompre le contact, ont pris l’offensive, livré bataille, donnant à Napoléon le droit de dire, et il en triomphera autant que de sa victoire, que, sortis les premiers de leurs cantonnements, ils ont encore été les agresseurs, avec cette excuse d’avoir été poussés par l’Angleterre, éternelle « ennemie de la paix ».

Le 14 juin, anniversaire de Marengo, l’armée russe est complètement battue à Friedland, Alexandre avec elle et encore plus qu’elle. Il l’est dans son âme. Il semble admirer son vainqueur. Il l’admire peut-être vraiment. En tout cas, il cède à la pensée de s’entendre avec lui. On comprend tout de suite pourquoi Napoléon ira — c’est déjà dans cinq ans — jusqu’à Moscou, y perdra un temps précieux. C’est parce qu’il aura vu, après Friedland, Alexandre tomber dans ses bras. Il poursuivra, il attendra, pour sa ruine, une autre accolade de Tilsit.

Il avait, après sa victoire de Friedland, refoulé les débris de l’armée russe en retraite jusqu’au Niémen, limite de l’empire moscovite. Et qu’eût‑il fait si, à ce moment, et de l’autre côté du fleuve, Alexandre, comme fasciné, n’eût demandé un armistice, si le tsar eût écouté ceux qui lui conseillaient de laisser entrer Napoléon, comme Pierre le Grand après avoir perdu la bataille de Narva, avait laissé entrer Charles XII ? Alexandre ne vit pas à quel point Napoléon avait faim et soif de cette paix qu’il venait, le 22 juin, de promettre à ses soldats et à la France, la paix nécessaire au système, une paix