Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/33

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comme le seront Joseph, Lucien et Louis, tous, plus ou moins, noircisseurs de papier.

On a la liste de ses lectures. On a ses cahiers de notes et ses premiers griffonnages. Il est étonnant de voir comme l’art de la guerre y tient peu de place. Le métier militaire, Bonaparte l'apprend au jour le jour, par le service. Et comme il assimile tout, il profite aussi de cet enseignement-là. Rentré dans la chambre qu’il a louée à Mlle Bou, au prix de huit livres huit sols par mois, il lit sans trêve, mais ce que pourrait lire un élève de l’école des sciences politiques.

À Erfurt, après avoir repris le prince-primat sur la date de la Bulle d’Or, l'empereur dira avec une juste fierté que, lorsqu’il avait « l’honneur d’être simple lieutenant en second d’artillerie », il avait dévoré la bibliothèque du libraire et qu’il n’avait rien oublié, « même des matières qui n'avaient aucun rapport avec son état ». C’est que, pendant ces studieuses années de Valence, l’amour de la Corse le dirige et le soutient. Pour elle, il a soif de savoir. Il médite d’écrire l’histoire de son île et de la dédier à un autre idéologue qu’il admire passionnément, l’abbé Raynal. Mais sa curiosité s’étend. Elle va à l’étude des hommes, des pays, des sociétés, des gouvernements, des religions et des lois, elle va d’instinct à ce qui est général et à ce qui est grand. Le jour où le chemin du pouvoir s’ouvrira pour un soldat, c’est la somme prodigieusement variée de ses lectures qui le mettra à cent pieds au-dessus de ses rivaux.

Soldat, il lui reste à le devenir. Il avait passé par des écoles militaires qui étaient plutôt des maisons d’éducation. Comme ses camarades, et suivant la règle, il fut d’abord simple canonnier, puis caporal, puis sergent, montant la garde et prenant la semaine. Ce n’est qu’au bout de trois mois qu’il eut accès à son grade. Dans cette armée de l'ancien régime, tout était sérieux et les jeunes aristocrates