Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/43

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N’ayant pas plus de regrets que de rancune pour la monarchie qui allait sombrer, il ne se sentira de devoirs ni envers elle, ni envers la République. Dans le drame qui se jouait en France, il était spectateur en attendant d’être arbitre.

Les sentiments républicains qu’il avait pris dans le culte de Paoli autant que dans la lecture de Rousseau, et qui lui faisaient déjà échanger des coups de pied sous les tables de l’École militaire avec Phélipeaux, se montèrent sans doute aux nouvelles de Paris. Pourtant, il gardait la tête froide. Dépourvu d’argent, il ne sort guère de sa chambre que pour le service. Il ne cesse de lire, il écrit avec abondance, en français toujours, car on n’a pas de lui une page en Italien, bien que son français soit émaillé d’italianismes et de fautes d’orthographe. Et, sur les livres les plus divers, religions et mœurs de l’Orient, histoire de l’Église, constitution de la Suisse, il prend force notes, selon la bonne méthode, celle de l’adage ancien qui dit que la lecture sans la plume n’est qu’une rêverie. Il ne renonce même pas à la littérature, et, de cette époque, datent encore deux petits récits que nous appellerions des « nouvelles ». Puis, tour à tour, il analyse la République de Platon et l’histoire de Frédéric II. Il met de côté une fiche sur les résultats financiers de la Compagnie des Indes, une autre sur le budget de Necker. Et, dans ces papiers, se trouvent aussi les statuts de l’association régimentaire des jeunes officiers, qui était en usage dans l’ancienne armée et qu’on appelait la Calotte. Bonaparte a rédigé les articles de ce projet, destiné aux lieutenants de La Fère, avec autant de sérieux que s’il se fût agi de donner une Constitution à un grand pays.

Que fait donc Bonaparte tandis qu’à Paris la Révolution commence ? Il écrit, il écrit toujours. Il a soumis son Histoire de la Corse, enfin composée sous forme de lettres, à l’un de ses anciens maîtres