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EMPEREUR ET AVENTURIER

aux Açores par exemple, ou bien dans une des Antilles anglaises, ou bien encore à Sainte‑Hélène, dont on commence à prononcer le nom. Des avis viennent à Napoléon, qui reçoit souvent des visiteurs et des messages, que les projets de transfert sont sérieux, qu’il peut, d’un jour à l’autre, être enlevé, sinon assassiné. Il se garde, donne l’ordre que, de ses forts, on tire sur les navires suspects qui approcheraient. En même temps, l’argent manque. La pension de deux millions qui lui a été promise à Fontainebleau n’est pas payée. Campbell, le commissaire anglais chargé de surveiller l’empereur, note les agitations et les incertitudes de son esprit. Car à tous les moments de sa vie où il a dû prendre une grande décision, on l’aura trouvé irrésolu. Quand on vient lui dire que les Français le regrettent, il répond : « S’ils m’aiment tant, qu’ils viennent me chercher. » Il se plaît à répéter qu’il n’est plus rien, qu’il est un homme mort. Et l’on colportait à travers l’Europe qu’il était usé, fini, inoffensif, devenu ventripotent, un poussah incapable de monter à cheval. Cependant, Fouché, Talleyrand, qui le connaissaient, gardaient la méfiance. Hyde de Neuville disait : « Mort, il serait encore à craindre. » La crainte qu’il inspirait lui répondait de son prestige, de la magie que gardait son nom.

Et le retour tint aussi à de petites choses. Il s’en manqua de peu que le moyen de rentrer en France ne lui fût ôté. Un jour, le brick Inconstant, qui formait à peu près toute sa marine, faillit être brisé par la tempête. En hâte, l’empereur le fit renflouer. Au mois de janvier 1815, son parti est pris. L’ennui, le dégoût, les difficultés de la vie quotidienne lui ont rendu le séjour de l’île insupportable. Achèvera-t-il son existence ici, dans l’oisiveté et la lésine ? Est-ce une fin digne de son histoire ? Chateaubriand, qui a compris Bonaparte, tout en le haïssant, et senti l’épisode, demande : « Pouvait-il accepter la souve-