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NAPOLÉON

lui sont connus, des garnisons où il a des complices. Certain de ne pas se heurter aux troupes du gouvernement royal en prenant le chemin des montagnes, il l’est aussi d’être bien accueilli dans le Dauphiné, dans ce pays de Vizille d’où le mouvement de 1789 est parti, à Grenoble, où il a des intelligences, dont il est presque sûr que les portes lui seront ouvertes, et « à Grenoble, il est à Paris ». Ce qu’il appelle à lui, c’est le paysan, l’ouvrier. Et il ne les flatte pas dans leurs passions les plus nobles. Il parle moins d’honneur national et de gloire que des droits féodaux et de la dîme, des anciens nobles oppresseurs, des privilèges, de la reprise des biens nationaux. Les bottes de 1793, il les met pour de bon. Ce n’est plus le premier Consul conservateur et conciliateur, l’empereur légitime, qui naguère garantissait les trônes. Il revient en démagogue, flatte la canaille, menace les aristocrates : « Je les lanternerai. » Le préfet de l’Ain épouvanté s’écriait : « C’est une rechute de la révolution. »

Empereur et révolutionnaire, disant à tous « citoyens » le peuple est sa garde véritable et, plus encore que l’apparition du petit chapeau et de la redingote grise, le peuple entraînera le soldat. Le seul danger que Napoléon ait couru, dans cette marche aventureuse où il était à la merci d’un coup de fusil parti d’une troupe disciplinée, il le rencontra devant La Mure, au défilé de Laffrey. C’est là qu’il se présente, la poitrine découverte, au bataillon du 5e de ligne : « S’il en est un parmi vous qui veuille tuer son empereur, me voilà ! » Aucun n’obéit à l’ordre de faire feu, mais Napoléon avait eu soin de répandre ses proclamations parmi les voltigeurs qui lui barraient la route, de leur envoyer deux de ses officiers pour les ébranler, et il avait avec lui quinze cents villageois qui l’acclamaient. À Grenoble, à Lyon, avec une force grandissante, il en fut de même. La foule intimida les chefs et dé-