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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/563

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CHAPITRE XXVI

LE MARTYRE


Prisonnier, Napoléon a vécu à Sainte-Hélène cinq ans six mois et dix-huit jours, à peu près ce qui sépare l’entrevue d’Erfurt de la première abdication. Il y est mort avant d’avoir achevé sa cinquante-deuxième année. Ainsi il a passé en captivité plus de la dixième partie de son existence. Le temps de la méditer et de la modeler à sa guise. La réclusion et le vide des heures, l’isolement et l’oisiveté après avoir rempli le théâtre du monde, c’était un dernier bienfait de la fortune. Parfaite œuvre d’art, sa vie est couronnée par la souffrance et par le martyre. Il faut aux très grands héros le roc de Prométhée, le bûcher d’Hercule et celui de Jeanne d’Arc ; la religion napoléonienne a dit la croix sur le calvaire.

Ici, ce sont encore les circonstances qui servent la renommée de l’empereur. Il avait été inspiré en se livrant à ses ennemis. Les Anglais, en l’exilant au bout du monde, cherchaient moins à se venger qu’à se débarrasser d’un personnage encombrant, dont la place n’était nulle part. Ils étaient bien obligés de le garder ; personne ne le réclamait. Les autres gouvernements étaient trop heureux de laisser Napoléon à l’Angleterre. Toutes les solutions avaient des inconvénients ou des dangers. Le cabinet de Londres opta pour la relégation rapide, sans bruit, sans esclandre, évitant surtout la faute d’une accusation et d’un jugement pompeux. On séquestrait le « général Bonaparte » dans une île à peu près inaccès-