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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/565

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NAPOLÉON

parfait dans le rôle de martyr. C’est que, plus encore que par le sentiment de sa dignité, il a été soutenu par l’idée du grandiose. Il n’en est pas moins vrai qu’il faut distinguer entre ce qu’a été sa vie d’exil et l’image qu’il en a légué, entre la figure qu’il s’appliquait à laisser de lui‑même et le train de tous les jours.

On imaginera d’abord la résidence que lui assignait la libéralité du pays auquel s’était confié le nouveau Thémistocle. De Longwood, Lord Rosebery, qui a cherché la vérité pour l’honneur de l’Angleterre, dit tout en une phrase : « Une agglomération de baraques, construites pour servir d’abri aux bestiaux. » Ces lieux misérables ont été aménagés à la hâte pour recevoir l’exilé. Il passe des palais royaux et des bivouacs glorieux à quatre chambres étroites infestées de rats, vite encombrées de papiers et de livres. Pour ornements quelques portraits, souvenirs de Joséphine, du roi de Rome et de Marie‑Louise ; de rares trophées, le réveille‑matin du grand Frédéric ; de faibles restes de l’ancienne splendeur, le service de table, le nécessaire de toilette. Voilà où Napoléon finira ses jours. Il est gardé comme un malfaiteur dangereux, sa correspondance ouverte, ses promenades si étroitement surveillées qu’il y renonce. L’endroit est nu, solitaire, battu par le vent, exposé aux tempêtes. À ce décor du dernier tableau, on peut dire que le gouvernement britannique a mis tous ses soins. Avec une maladresse remarquable il a rassemblé les conditions qui appellent la sympathie sur son prisonnier. Durable succès. Napoléon à Sainte‑Hélène tient encore l’affiche. Pour que Longwood devienne aux yeux du monde un lieu de torture, le héros malheureux n’aura qu’à donner un léger coup de pouce au tableau.

Qu’on se représente maintenant la suite de l’empereur entassée dans des réduits et des mansardes, contrainte à une exaspérante cohabitation. Les fi-