Dès son entrée en campagne, il se montre tel qu’il est, un esprit supérieur qui saisit d’un coup d’œil les situations et qui les domine. Il a le génie militaire et le don de la politique. L’Italie, il la comprend dans sa diversité qui lui présentera un nouveau problème à chacune de ses victoires. L’ennemi, il le déconcerte par un art de combattre aussi audacieux et nouveau que son art de négocier est subtil. Cette conquête de tout un pays avec une poignée d’hommes est un chef-d’oeuvre de l’intelligence. C’est pourquoi, comprenant à peine comment tout cela se faisait, les contemporains y ont vu quelque chose de « surnaturel ».
La partie la plus facile de sa tâche, où un autre pouvait échouer, il la réussit très vite. En arrivant, il trouve une armée en mauvais état et qui l’accueille mal. Cette armée est républicaine, elle est jacobine, comme en 1794. Le tutoiement révolutionnaire y reste en honneur et l’on s’y moque des « messieurs » de l’armée du Rhin, — l’armée de Moreau, — qui ont relevé le « vous ». Bonaparte ne vient pas commander des prétoriens, mais des hommes libres, de vrais sans-culottes qui n’ont pas le sentiment du respect. Qu’est-ce que ce petit général, ce gringalet, créature des bureaux de Paris ? Un « intrigant », disait tout haut le chef de bataillon Suchet, futur maréchal de l’Empire. Son âge, sa taille, son peu d’apparence, son accent corse, les circonstances de sa nomination, tout déplaît à « ces vieilles moustaches qui avaient blanchi dans les combats… Il me fallait des actions d’éclat pour me concilier l’affection et là confiance du soldat : je les fis ». Mais d’abord, il a une autorité naturelle, le ton qui en impose. Augereau, Serurier, Berthier, Masséna, ses anciens devenus ses subordonnés, sentent bientôt qu’ils ont un chef. Le soldat, il saura lui parler. Il est probable que Bonaparte, après coup, et quand il a eu le style romain, a arrangé la proclamation célèbre : « Soldats, vous êtes nus, mal nourris… Je