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animé les brutes, mais que les hommes ont une âme divine ; que Dieu nous a faits malgré lui, etc. Il finit par se dire lui-même le Saint-Esprit incarné.

Il fut arrêté après la mort d’Innocent X, et le 3 janvier 1661, condamné comme hérétique et comme coupable de plusieurs méfaits. Mais il parvint à fuir dans le Nord, et il fit dépenser beaucoup d’argent à la reine Christine, en lui promettant la pierre philosophale. Il ne lui découvrit cependant pas ses secrets. Il voulait passer en Turquie, lorsqu’il fut arrêté de nouveau dans un petit village comme conspirateur. Le nonce du pape le réclama, et il fut conduit à Rome, où il vécut en prison jusqu’au 10 août 1695, jour de sa mort.

Il est l’auteur d’un livre intitulé la Clef du cabinet du chevalier Borri, où Von trouve diverses lettres scientifiques, chimiques et très-curieuses, ainsi que des instructions politiques, autres choses dignes de curiosité, et beaucoup de beaux secrets. Genève, 1681, petit in-12[1]. Ce livre est un recueil de dix lettres, dont les deux premières roulent sur les esprits élémentaires. L’abbé de Villars en a donné un abrégé dans l’ouvrage intitulé le Comte de Gabalis.

Bortisme. Parmi les nouvelles religions qui s’établissent à Genève, la plus curieuse est celle de M. Bort, ministre du saint Évangile, qui s’est ouvert un temple et n’a pas d’autre autel qu’une table tournante. Les détails que nous allons donner sont empruntés aux Annales catholiques de Genève.

La réunion des fidèles qui ont admis ce culte est composée d’hommes, de femmes, et même de toutes jeunes personnes, rangés autour d’un guéridon. La table est tenue par trois influents, dont M. Bort est le principal acteur. Autrefois, la table répondait en frappant à mesure qu’on lui nommait une lettre de l’alphabet ; aujour-


d’hui, il y a, au milieu de la table, un pivot surmonté d’une tige et d’un plus petit guéridon, sur lequel se trouvent, à la circonférence, les lettres de l’alphabet, puis du pied part une autre tige fixe, qui se replie de manière à présenter sa pointe sur les lettres du petit guéridon, et quand la table veut répondre, ce petit guéridon tourne de manière que les lettres s’arrêtent sous la tige. Avec les lettres on fait des mots, avec les mots des phrases, et avec des phrases les révélations divines et mystérieuses. Quand il s’agit d’un oui ou d’un non, la table se penche ou frappe.

Il y a plusieurs secrétaires sténographes ; il y a le secrétaire qui rédige le procès-verbal et un lecteur. Pour gagner du temps, lorsque la table commence un mot, une ou deux lettres suffisent à M. Bort pour le compléter, sans attendre les interminables tours du guéridon supérieur. Lorsque c’est l’ange Gabriel qui parle par la table, les auditeurs sont assis ; mais lorsque c’est Jésus-Christ, tout le monde se lève dans l’attitude et le sentiment du respect. Quand c’est l’ange Gabriel qui répond, il commence ordinairement par ces mots : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen. » Jésus-Christ s’écrie : « Pais mes agneaux ! Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen. » Dans le livre des Révélations divines et mystérieuses, arrangé par M. Bort, il n’y aurait absolument rien de lui. « La préface elle-même aurait été dictée par le Sauveur. » Puis « la préface de l’ange Gabriel, » puis « la déclaration de l’ange Gabriel, à l’occasion de quelques propos tenus » par quelques personnes qui attribuaient à Satan, déguisé en ange de lumière, ces dictées qui étaient pour les auditeurs un sujet d’allégresse et d’actions de grâces… » Puis une oraison dominicale dictée par le Sauveur, différente de celle des Évangiles ; puis les paroles de l’ange et du Sauveur, jour par jour ; puis une préface, toujours « dictée par le Sauveur, pour l’ouvrage intitulé Du repentir envers Dieu, traduit de l’anglais par Gustave Petit-Pierre, et lu à la table du Sauveur » ; puis les paroles du Sauveur à une maîtresse de pension ; puis les histoires du Millenium, ou de la vallée sauvage ; de Mon règne s’avance, ou la cabane du pauvre nègre ; de la sanctification du chrétien par l’épreuve, ou de deux petits agneaux ; de l’heureuse famille, ou de la main paternelle de Jéhovah. Puis les prières, les actions de grâces, les invocations, les supplications, réceptions, odes, entretiens, psaumes, hymnes, magnificat, etc. Et tout cela absolument de Jésus-Christ, de l’ange Gabriel, de l’ange Luther, de l’ange Uriel, de l’archange Michel, de l’ange L…, de l’ange M…, de l’ange David, etc.

Le tout imprimé à Lausanne, chez Pache, cité Drapière, n° 3.

  1. La Chiavedel gabinetto del cavagliere G. F. Borri, col favor délia quale si vedono varie lettere scientijice, chimice, e curiosissime, con varie instruzioni politiche, ed altre cose degne di curiosita e molti segreti bellissimi. Cologne (Genève), 1681.