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contentèrent de traîner des chaînes dans une chambre du haut, au bruit desquelles la femme et les enfants du fermier vinrent au secours de leur seigneur, en se jetant à ses genoux pour l’empêcher de monter dans cette chambre.

« Ah ! monseigneur, lui criaient-ils, qu’est-ce que la force humaine contre des gens de l’autre monde ? Tous ceux qui ont tenté avant vous la même entreprise en sont revenus disloqués. » Ils tirent tant d’histoires au maître du château, que ses amis ne voulurent pas qu’il s’exposât ; mais ils montèrent tous deux à cette grande et vaste chambre où se faisait le bruit, le pistolet dans une main, la chandelle dans l’autre. Ils ne virent d’abord qu’une épaisse fumée, que quelques flammes redoublaient par intervalles. Un instant après, elle s’éclaircit et l’esprit parut confusément au milieu. C’était un grand diable tout noir qui faisait des gambades, et qu’un autre mélange de flammes et de fumée déroba une seconde fois à la vue. Il avait des cornes, une longue queue. Son aspect épouvantable diminua un peu l’audace de l’un des deux champions. « Il y a là quelque chose de surnaturel, dit-il à son compagnon ; retirons-nous. — Non, non, répondit l’autre ; ce n’est que de la fumée de poudre à canon… et l’esprit ne sait son métier qu’à demi de n’avoir pas encore soufflé nos chandelles. » Il avance à ces mots, poursuit le spectre, lui lâche un coup de pistolet, ne le manque pas ; mais au lieu de tomber, le spectre se retourne et le fixe. Il commence alors à s’effrayer à son tour. Il se rassure toutefois, persuadé que ce ne peut être un esprit ; et, voyant que le spectre évite de l’approcher, il se résout à le saisir, pour voir s’il sera palpable ou s’il fondra entre ses mains. L’esprit, trop pressé, sort de la chambre et s’enfuit par un petit escalier. Le gentilhomme descend après lui, ne le perd point de vue, traverse cours et jardins, et fait autant de tours qu’en fait le spectre, tant qu’enfin le fantôme, étant parvenu à une grange qu’il trouve ouverte, se jette dedans et fond contre un mur au moment où le gentilhomme pensait l’arrêter. Celui-ci appelle du monde ; et dans l’endroit où le spectre s’était évanoui, il découvre une trappe qui se fermait d’un verrou après qu’on y était passé. Il descend, trouve le fantôme sur de bons matelas, qui l’empêchaient de se blesser quand il s’y jetait la tête la première. Il l’en fait sortir, et l’on reconnaît sous le masque du diable le malin fermier, qui avoua toutes ses souplesses et en fut quitte pour payer à son maître les redevances de cinq années sur le pied de ce que la terre était affermée avant les apparitions. Le caractère qui le rendait à l’épreuve du pistolet était une peau de buffle ajustée à tout son corps…

Mais retournons aux revenants sérieux. Les peuples du Nord reconnaissaient une espèce de revenants qui, lorsqu’ils s’emparaient d’un édifice ou du droit de le fréquenter, ne se défendaient pas contre les hommes, mais devenaient fort traitables à la menace d’une procédure légale. L’Evrbiggia-Saga nous apprend que la maison d’un respectable propriétaire en Islande se trouva, peu après que l’île fut habitée, exposée à une infestation de cette nature. Vers le commencement de l’hiver, il se manifesta, au sein d’une famille nombreuse, une maladie contagieuse qui, emportant quelques individus de tout âge, sembla menacer tous les autres d’une mort précoce. Le trépas de ces malades eut le singulier résultat de faire rôder leurs ombres autour de la maison, en terrifiant les vivants qui en sortaient. Comme le nombre des morts dans cette famille surpassa bientôt celui des vivants, les esprits résolurent d’entrer dans la maison et de montrer leurs formes vaporeuses et leur affreuse physionomie jusque dans la chambre où se faisait le feu pour l’usage général des habitants, chambre qui pendant l’hiver, en Islande, est la seule où puisse se réunir une famille. Les survivants effrayés se retirèrent à l’autre extrémité de la maison et abandonnèrent la place aux fantômes. Des plaintes furent portées au pontife du dieu Thor, qui jouissait d’une influence considérable dans l’île. Par son conseil, le propriétaire de la maison hantée assembla un jury composé de ses voisins, constitué en forme, comme pour juger en matière civile, et cita individuellement les divers fantômes et ressemblances des membres morts de la famille, pour qu’ils eussent à prouver en vertu de quel droit ils disputaient à lui et à ses serviteurs la paisible possession de sa propriété, et quelle raison ils pouvaient avoir de venir ainsi troubler et déranger les vivants. Les mânes parurent dans l’ordre où ils étaient appelés ; après avoir murmuré quelques regrets d’abandonner leur toit, ils s’évanouirent aux yeux des jurés étonnés.

Un jugement fut donc rendu alors par défaut contre les esprits ; et l’épreuve par jury, dont nous trouvons ici l’origine, obtint un triomphe inconnu à quelques-uns de ces grands écrivains, qui en ont fait le sujet d’une eulogie.

Le singulier fait que nous venons d’exposer est emprunté à la Démonologie de Walter Scott.

Dans la Guinée, on croit que les âmes des trépassés reviennent sur la terre, et qu’elles prennent dans les maisons les choses dont elles ont besoin ; de sorte que, quand on a fait quelque perte, on en accuse les revenants ; opinion très-favorable aux voleurs. Voy. Apparitions, Fantômes, Spectres, Athénagore, etc.

Rhapsodomancie, divination qui se faisait en ouvrant au hasard les ouvrages d’un poète, et prenant l’endroit sur lequel on tombait pour une prédiction de ce qu’on voulait savoir. C’était ordinairement Homère et Virgile que l’on choisissait. D’autres fois on écrivait des sentences ou