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» Je trouve encore, dans les Didascalia de Francesco de Cordova, une anecdote qui prouve que les gitanos ne craignirent pas d’empoisonner, pendant la nuit, toutes les fontaines de Logrono. Cette horrible machination fut découverte par un libraire qui avait autrefois vécu avec eux, et qui la dénonça au curé de la ville. Déjà une épidémie pestilentielle régnait parmi les habitants ; mais il leur resta assez de force pour massacrer les gitanos, lorsqu’ils venaient piller leurs maisons sans attendre qu’ils fussent tous morts.

« Il semblerait, dit un auteur espagnol, que les gitanos et les gitanas n’ont été envoyés dans ce monde que pour y être voleurs ; ils naissent voleurs ; ils sont élevés parmi les voleurs ; ils apprennent à être voleurs, et ils finissent par être voleurs, allant et venant pour faire des dupes. L’amour du vol et la pratique de la volerie sont en eux des maladies constitutionnelles qui ne les quittent plus jusqu’au jour de leur mort. » Tel est l’exorde de la Gitanilla ou la fille égyptienne, nouvelle de Cervantes, qui introduit ensuite son héroïne en ces termes : « Une vieille sorcière de cette nation, qui avait certainement pris ses grades dans la science de Cacus, élevait une jeune fille dont elle se disait la grand’mère et qu’elle appelait Preciosa, etc. »

» Parmi les nombreuses anecdotes qui se rattachent à la vie et aux ouvrages de Cervantes, on raconte que, sous le règne de Philippe III, il parut dans la rue de Madrid une fille égyptienne qui y brilla comme un météore : elle dansait et chantait en compagnie d’autres gitanas, mais si supérieure à toutes par sa beauté, sa grâce et sa voix, que la foule se pressait partout autour d’elle. Une pluie d’or et d’argent exprimait l’enthousiasme des spectateurs. Le roi lui-même fut curieux de la voir ; les meilleurs poètes du temps lui adressaient des vers, trop heureux si elle daignait les chanter ; plusieurs seigneurs devinrent épris d’elle, et enfin un jeune homme de la cour, abandonnant sa famille, se fit gitano pour lui plaire. On découvrit plus tard que cet astre de beauté était la fille d’un noble corrégidor, volée à son père, dans son enfance, par la vieille sorcière qui se disait sa grand’mère. Elle épousa son fidèle adorateur. Telle est l’anecdote, et c’est aussi le sujet de la nouvelle de Cervantes, qui n’est pas la meilleure de ses œuvres, malgré sa popularité. Il n’y a pas que son héros et son héroïne qui ne sont pas de la vraie race égyptienne : tous ses autres gitanos sont des busnis (chrétiens) déguisés, parlant comme jamais gitano véritable n’aurait parlé, alors même qu’ils décrivent assez exactement la vie nomade de leur race. Cervantes connaissait mieux les posadas et les ventas de l’Espagne que les camps des gitanos.

» Mais il existe dans la langue espagnole un roman intitulé Alonso, le valet de plusieurs maîtres, composé par le docteur Geronimo de Alcala, natif de Ségovie, qui écrivait au commencement du dix-septième siècle. Cet Alonso sert toutes sortes de maîtres, depuis le sacristain d’un obscur village de la vieille Castille jusqu’au fier hidalgo de Lisbonne, et tous ces maîtres le congédient à cause de son caractère bavard et de son incorrigible manie de critiquer leurs faiblesses. Enfin, il tombe entre les mains des gitanos. Je suis tenté de croire que l’auteur lui-même avait vécu parmi cette race, tant la description qu’il en donne est vivante et colorée. En voici quelques extraits :

« Je cheminais depuis plus d’une heure à travers ces bois, lorsque, à peu de distance de l’endroit où j’étais, je vis s’élever une grosse fumée : concluant, en vrai philosophe, qu’il n’y a pas de fumée sans feu, et que s’il y avait du feu il devait y avoir des gens pour l’allumer, je me mis à diriger mes pas de ce côté, car il commençait à faire nuit et il régnait un air assez froid. Je n’avais pas marché beaucoup, lorsque je me sentis saisir par les épaules, et tournant la tête, je me vis accosté de deux hommes, pas tout à fait aussi beaux que des Flamands ou des Anglais, vrai teint de mulâtre, mal vêtus et de mauvaise mine.

 
Zincalis
Zincalis
 
Je leur dis qu’ils étaient les bienvenus (Dieu sait avec quelle anxiété de cœur), en leur demandant ce que je pouvais faire pour leur service. Mais eux, avec le bredouillement des gitanos, me dirent de les suivre à leur campement (aduar), où était le señor comte. Me voici en bonnes mains, me dis-je en moi-même ; cela ne peut que bien aller ; je dois m’attendre à une bonne nuit. Mais enfin, faisant de nécessité vertu, je leur répondis : Vamos, señores : allons, messieurs, où vous voudrez. Ils me conduisirent à travers le plus épais du bois, me tenant entre deux pour ne pas me perdre de vue, non sans m’avoir demandé où était ma monture et où je l’avais laissée. Elle vient toujours à moi, répondis-je ; très-dévot à saint François, je suis très-mauvais cavalier, et par économie je voyage à pied. En devisant ainsi, nous arrivâmes au campement de la confrérie, où l’on nous attendait, grâce au coup de sifflet de mes deux guides, qui avaient ainsi averti les leurs de notre