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Page:Jacques Normand - Tablettes d un mobile, 1871.djvu/34

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Cherchant à s’appuyer sur le terrain boueux ;
Puis un voile de sang s’étend devant mes yeux,
Le ciel tourne et bientôt disparaît à ma vue.

Quand je me réveillai, la nuit était venue,
Couvrant de son linceul les morts et les mourants.
Ils sont là, sur le sol foulé, couchés par rangs,
L’œil éteint, déjà froids, les mains roides, crispées,
Serrant à les briser les tronçons des épées.
Les hommes expirants et les chevaux boiteux
Se traînent, et déjà je vois, — spectacle affreux ! —
Les corbeaux — ces hideux croque-morts des armées —
S’abattre autour de moi par bandes affamées.
Les canons sans affûts, les caissons éventrés,
Les sabres, les fusils, gisent enchevêtrés,
Scintillant sur ces flots de boue épaisse et rouge ;
Parfois, dans ce chaos, quelque chose se bouge,
Se soulève et retombe en poussant un soupir,
Puis rien : c’est un blessé qui meurt ou va mourir.
La lune, déjà haute, illumine par places,
D’un rayon pâle et doux, des monceaux de cuirasses ;