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SIFROID.

Jour de Dieu !… il fait bien chaud, Golo !… (Il ôte son manteau et le jette sur les épaules de Golo.)

GOLO, à part.

Ô mon Dieu ! ô mon rêve !

SIFROID.

Mais vous êtes un faquin, monsieur Mathieu Lansberg !

MATHIEU LANSBERG.

Haut et puissant margrave, j’obéis aux lois qui régissent le pays ! Il est dit qu’au bout de deux années de règne, si le margrave a fait preuve d’idiotisme et n’a pas d’enfants, l’antique toque de Rosenkrac passera dans d’autres mains ! Voici la deuxième année… et vous n’avez pas d’enfants.

GOLO, à part.

J’espère bien qu’il n’en aura pas. (Il se débarrasse de la toque et du manteau.)

SIFROID.

C’est vrai !… quelle bête de coutume, Golo…

GOLO.

Monseigneur, c’est la loi… Dura lex, sed lex !

MATHIEU LANSBERG.

Rassurez-vous ! votre nom ne périra pas ! grâce à mon spécifique, que j’ai essayé sur deux animaux, il est impossible qu’il soit sans effet sur vous… Resterait donc madame Geneviève.

SIFROID.

On lui en fera prendre aussi !

MATHIEU LANSBERG.

C’est que, monseigneur, j’ai un scrupule…

SIFROID.

Lequel ?

MATHIEU LANSBERG.

L’un des animaux a mangé l’autre. Et si madame Geneviève allait imiter l’autre… vous comprenez.

SIFROID.

Comprends-tu, Golo ?

GOLO.

Seigneur… (À part.) Ah ! s’il prend cette médecine je suis perdu !

SIFROID.

Enfin ! n’importe, donnez-moi la drogue.

MATHIEU LANSBERG.

Voilà, seigneur. (Il donne un flacon à Sifroid.)

TOUS, quand Sifroid a bu.

Vive Mathieu Lansberg !

SIFROID.

Suivez-moi ! (Fausse sortie, revenant.) Ah ! une petite observation ! je vous déclare que si ça ne me fait pas d’effet, je vous fais pendre tous… Suivez-moi, et que personne ne sorte. (Sortie générale.)

CHŒUR.
––––––––Le voilà, etc.

(Tous suivent Sifroid par la porte de gauche, Golo reste seul. Mathieu Lansberg, avant de sortir par la porte de droite, menace du doigt Golo.)


Scène IV.

GOLO seul, puis UN PAGE, ensuite ALMANZOR.
GOLO.

Et moi, cachons bien l’ambition qui me dévore, recouvrons d’un masque hypocrite la bassesse de mes sentiments ; que personne ne puisse soupçonner que je suis capable de tous les crimes et de toutes les infamies. — Va, margrave ridicule et caduc, si je t’embrasse, c’est pour mieux t’étouffer… Mais ce monologue, qui doit être long, serait insupportable ; appelons mon confident. (Il va au guéridon, prend la sonnette et sonne ; un page parait à la porte de droite, entre, salue respectueusement Golo, puis sort pour exécuter l’ordre qu’il lui donne.) Qu’on amène Almanzor ! L’Almanzor que vous allez voir, c’est celui qui reçoit tous mes secrets, qui connaît toute la noirceur de mon âme. Mais, me direz-vous, pourquoi un confident ! un traître n’a jamais un confident, que pour être trahi par lui… Moi, je suis sûr de celui-ci… j’ai pris un confident sourd et muet… (Almanzor entre par la porte de droite, il est semblable à un automate.) Le voici. (Golo le va prendre par le bras.) Approche, toi pour lequel je n’ai point de secrets ! viens entendre toutes les machinations infernales que j’élabore… Almanzor, écoute, tout va mal… aurais-je perdu en un seul jour le fruit de tant de crimes ? car je sue le crime, tu le sais ; je suis le plus grand gredin qui existe… tu n’en doutes pas… Pour empêcher ce misérable margrave de gouverner son royaume, je l’abrutis… Ne bouge donc pas, animal !… Apprends qu’il m’a déjà mis la toque antique sur la tête… Cette toque, elle est à moi, si je réussis… Déjà, grâce à mes soins, le peuple se soulève, et, bientôt, va crier : À bas Sifroid ! vive Golo !… Tout est prêt… Eh bien ! mort et damnation ! enfer et malédiction !… voilà que le corps des savants a inventé une limonade qui va renverser tous mes plans… (Pendant le monologue de Golo, Almanzor, qui est censé ne rien entendre, l’a quitté, est allé au guéridon, où l’on a déposé la cassette, et s’amuse à regarder les différentes boites renfermées dedans. Il prend une boite, l’examine, la flaire et éternue.) Il faut donc trouver un moyen adroit… (À Almanzor.) Qu’est-ce que tu regardes donc là ?… Ah ! cette boîte à la malice !… Mathieu Lansberg a ou-