Page:Jaime fils, Tréfeu - Geneviève de Brabant.pdf/9

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Magnanime ! Sifroid, puis qu’il faut l’appeler par son nom, grandissimo principo, notre seigneur bien aimé. — Seigneurus bien aimatus est menacé du plus grand chagrin qui puisse affliger son cœur de père ; il a constamment des migraines et n’a pas d’enfants, et pourtant, doctibus savantibus, voilà deux ans qu’il est marié à la bonne et belle Geneviève, dite de Brabant, à cause de la couleur de ses cheveux… Bonnus, bonna, bonnum ; bellus, bella, bellum ! Laisserons-nous Sifroid devenir tout à fait imbécile, et la principauté de Rosenkrac passer dans des mains moins intelligentes ? Non… Confreribus illustribus !

LES SAVANTS.

Jamais !

MATHIEU LANSBERG.

Voilà pourquoi, sur l’ordre de monseigneur, j’ai composé un élixir qui doit avant peu raffermir ses facultés mentales. Cet élixir névralgifuge est ma propriété, c’est le fruit de mes veilles ; et pour vous prouver l’influence qu’il peut exercer sur l’humanité, je n’hésiterais pas à en faire l’application sur tous les animaux !… En voulez-vous… vous ?

LES SAVANTS.

Vive Mathieu Lansberg !


Scène III.

Les Mêmes, SIFROID, GOLO, NARCISSE, LES DEUX PAGES. Sifroid appuyé sur Golo, entre coiffé d’une toque dorée.
LE PAGE, annonçant.

Son Altesse le margrave !

CHŒUR.
––––––––Le voilà ! le voilà !
––––––Le plus beau, le plus grand des seigneurs !
––––––––Le voilà ! le voilà !
–––––Celui qui règne sur nos cœurs !
SIFROID.

Assez ! c’est bien assez !… Vos chants me fatiguent le tympan !

CHŒUR.

Le voilà, etc.

SIFROID.

Et puis, c’est toujours la même chose ! Où donc est mon poëte ?… qu’on fasse venir mon poëte !… Golo, dit-on poëte, ou poîte ?

GOLO.

On dit poîte, monseigneur.

LE PAGE, annonçant.

Le poëte de monseigneur !

NARCISSE, entrant.

Monseigneur me demande, ou plutôt il m’appelle…
C’est un bonheur pour moi ; cette journée est belle !…
Et… si…

SIFROID.

Assez !… je vous fais demander afin de changer les paroles que les courtisans m’adressent tous les matins, pour mon chœur d’entrée, toujours les mêmes louanges, ça devient assommant !

NARCISSE.

Demain, j’irai chercher aux célestes hauteurs,
Où la gloire a placé tant d’illustres auteurs,
Ce recueil d’expressions que les cieux seuls procurent,
Les hommes l’auront bien, puisque les anges l’eurent !

SIFROID.

Ouf !… je n’en puis plus ! qu’on m’asseye. (On prend le fauteuil du fond, les pages l’apportent au milieu du théâtre ; on l’assied.) Golo, mon fidèle Golo !… parle pour moi, et demande à tous ces abrutis ce qu’ils font dans mon palais ?

GOLO.

Monseigneur, vous voyez devant vous le Corps des savants.

SIFROID.

Comme ils sont laids ! (Montrant Mathieu Lansberg.) le petit vieux surtout. Et que me veulent-ils ?

MATHIEU LANSBERG.

Monseigneur, justement émus de voir qu’au bout de deux ans de mariage, vos migraines continuelles donnaient de vives inquiétudes à votre illustre famille.

SIFROID.

Ah ! oui ! je sais !… Qu’est-ce qui me pèse donc comme ça sur la tête ?

GOLO.

Monseigneur, c’est votre toque antique.

SIFROID.

C’est juste… porte-moi ça, Golo ! (Golo s’incline pour recevoir la couronne, que Sifroid lui met sur la tête.)

GOLO, à part.

Ô mon Dieu !… ô mon rêve !

SIFROID.

Eh bien ?

MATHIEU LANSBERG.

Eh bien, grand prince, grâce à mes veilles… grâce à mes savantes recherches, j’oserais dire grâce à mon génie, si… tout le génie n’était pas votre partage, j’ai composé un élixir qui doit chasser vos sombres humeurs, rajeunir votre sang, en un mot, vous rendre la force et la santé.

SIFROID.

Golo !

GOLO.

Monseigneur…

SIFROID.

Qu’est-ce qu’il dit donc cette vieille bête-là ?

TOUS.

Ah !

SIFROID.

Mais, à l’entendre, j’ai donc un sang vieux, je suis donc caduc, débile ? Enfin, je suis donc un propre à rien ?

M. LANSBERG.

Monseigneur.