Page:Jaloux - L'école des mariages, 1906.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
L’ÉCOLE DES MARIAGES

depuis quinze jours me fait une tête impossible. On dirait qu’il se méfie de quelque chose… Hier, il m’a monté une lettre qu’il avait décachetée. J’étais furieuse, vous comprenez… C’était un mot de Jeanne, qui a une écriture un peu masculine. Je lui ai demandé pourquoi il l’avait ouverte. Il m a répondu : « Parce que… » d’un ton sec… Alors je n’ai plus osé rien dire… Mais il faudra être prudent. Ne m’envoyez plus de cartes postales et tâchez de ne plus nous rencontrer à tout moment, comme vous le faites…

— Croyez-vous que votre père soit au courant de notre… de notre amour ?

— J’ai bien peur que Mlle de Norfalk lui en ait soufflé un mot… Je l’ai toujours détestée, celle-là, avec ses prétentions aristocratiques et vertueuses…

L’appréhension d’un danger mystérieux se mêlait à l’humidité naissante et au froid pour troubler les jeunes gens. Le bosquet tressait autour d’eux une cage bien close. Entre deux groupes d’arbres, très loin, dans une brume rose et bleue, flottaient vaporeusement des formes penchées de collines et de petits tas de maisons au ton de chair, presque immatériels, tant la distance et le brouillard les idéalisaient, et qui paraissaient peints par une main légère et habile sur le fond pâle du ciel.

Ils se serraient l’un contre l’autre, mêlant la chaleur de leurs corps, dans une étreinte presque fraternelle. Ils s’enlaçaient comme ceux qui ont peur ensemble, et l’angoisse faisait plus tort et plus hardi leur amour, à mesure qu’ils devenaient eux-mêmes plus faibles et plus craintifs devant l’énigme de l’avenir.