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EDMOND JALOUX

du petit René, seul au monde, sans oncle, ni tante, et confié à la tutelle d’un vieux garçon bizarre, maniaque et débauché, M. Chevalier-Joly. Durant ses années de collège, qu’il passa pensionnaire à l’école Saint-Louis-de-Gonzague, sous la direction de l’abbé Théodore Barbaroux, le jeune Delville, les jours de sortie, ne manquait point de venir chez Mme Guitton, dont la maison lui fut un foyer. Majeur et mis en possession de sa fortune, il garda à la compagne de sa mère une affection sincère et confiante.

C’était chez elle qu’il avait connu Edmée Diamanty, quand ils n’étaient encore que deux bambins qui jouent à l’amour pour singer les grandes personnes. Ils s’aimèrent enfants, et firent, dans l’heureuse inconscience de cet âge, le projet de passer ensemble toute leur vie. Et lorsque René se retournait vers ces jours du passé, qui sont poussiéreux et sombres comme les chambres closes des maisons de campagne que nul n’habite plus, il voyait ce délicat visage d’Edmée se lever du fond de son âme pareil à ces figures immatérielles et mouvantes qui semblent danser, au clair de lune, dans la draperie retombante d’un jet d’eau. Il l’aima sans le savoir. Il crut s’éprendre d’autres femmes alors qu’il n’adorait qu’elle ; le véritable amour est si naturel et si inconscient que bien des êtres le cherchent parfois très loin, alors qu’il est déjà en eux.

Un accident dû au hasard, une fausse nouvelle, une de ces bizarreries où se plaît la malice romanesque du sort, révéla à René l’étendue d’une affection qu’il ne soupçonnait pas et qui lui apparut tout à coup à l’inattendue intensité de son chagrin. Il courut à Edmée, il lui avoua son amour à la hâte,