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LE RESTE EST SILENCE…

sont tus. Papa tourne toujours autour de la table. Je me suis pelotonné dans un coin du canapé, accroupi contre les coussins. J’essaye de me persuader que maman va revenir, et, aussitôt après, je me répète que c’est fini, qu’elle ne rentrera jamais chez nous, et, je ne sais pourquoi, je revois le parc et le bassin aux cygnes et ce jeune homme maussade et froid, qui avait une canne à tête d’aigle. Est-ce lui qui l’a emmenée ? Et où ? Ils s’en vont dans la nuit, tous deux, sous le ciel plein d’étoiles ; je m’efforce de me les représenter, je crois les voir, ils marchent à petits pas… Oui, oui, je les vois. Mais pourquoi m’imaginais-je que le ciel était plein d’étoiles ? Il est tout noir, au contraire, et il pleut. C’est moi qui m’achemine à côté de maman ; elle n’a qu’un parapluie pour nous deux, et elle m’abrite avec difficulté. La rue monte ; les becs de gaz, en allongeant leurs reflets dans la boue, y tracent de petits chemins dorés ; nous n’échangeons pas une parole. Nous entrons soudain dans une boutique. Des gens rangés y causent ;