Page:Jaloux - Le triomphe de la frivolité, 1903.djvu/25

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tendit un verre, elle le prit d’une main qui tremblait et y trempa ses lèvres peintes.

— Cela me rappelle bien des heures charmantes, murmura-t-elle. Que de soupers délicieux nous avons faits ensemble ! Je revois les salles claires, illuminées, j’entends la musique des tziganes… Qu’il y a de choses dans l’odeur de vernis de ce cock-tail !… Bah ! je les retrouverai peut-être au Paradis !

Elle souriait, mais son sourire ressemblait à une grimace :

— J’ai toujours cru, continua-t-elle, de sa voix fêlée, que le Paradis ressemblait au Bois, vaste, ombragé, avec de vieux arbres et des pavillons pour boire, pour danser, pour causer, et aussi quelques music-halls ! Nous sommes de pauvres petits êtres humains, il nous faut des joies à notre taille. La félicité que l’on nous dépeint, nous étoufferait, serait irrespirable…

Elle s’arrêta, épuisée.

— Il y aura trente-six Paradis, assura Myomandre. Il en faut pour tous les goûts, afin que chacun y passe son éternité avec ce qu’il a le plus aimé ici. Voyez-vous les gens qui ont horreur de la musique, obligés d’entendre des concerts d’anges, une infinité de siècles ? Dans mon paradis, on verra beaucoup de livres, magnifiquement reliés, et les plus divins causeurs du monde, depuis Rivarol jusqu’à Oscar Wilde !

— Le Paradis, ce serait de vivre toujours, dit Madame de Lèvrages. Nous ne pouvons rien imaginer de plus beau que la vie. Cette terre humble et ronde, c’est là tout notre ciel !