Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/104

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Mathenot, blême, s’inclina, sans répondre. Il venait de perdre définitivement le peu de confiance que l’abbé Barbaroux lui témoignait encore.


XIV

QUI MONTRE L’UTILITÉ DE LA LOGIQUE


Désormais, l’abbé Mathenot surveilla M. Augulanty, avec une lucidité plus haineuse encore, une clairvoyance plus envenimée. Ce long homme noir, qui se coulait le long des murs et qui semblait se confiner dans les pratiques d’une étroite dévotion, s’acharna à poursuivre de ses investigations le protégé de l’abbé Barbaroux. Mais cet espionnage était si inhérent à sa nature que nul ne s’en méfiait. Il y avait du policier chez lui. Quand il glissait dans un corridor ou s’insinuait dans une classe, les paupières à demi closes sur son regard chagrin, les lèvres murmurant une oraison, les mains enfoncées dans ses larges manches, on ne se doutait point des pensées que recélaient ce front ridé, ces yeux ternes, cette bouche amère et sèche.

Mathenot, ayant compris que son intérêt était de se lier avec le vieux M. Bermès, causait longuement avec lui toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion. Il n’hésitait même pas à le suivre dans un bar du voisinage, où il ne consommait rien, mais où il payait les absinthes et les vermouths qui déliaient la langue du professeur. M. Bermès bavardait sur tout le monde et l’abbé avait généralement peu à glaner. Cependant il attendait avec patience, et de fait, un jour, M. Bermès s’écria, en faisant fondre son sucre :

— Saviez-vous, l’abbé, que notre excellent Augulanty passait tous ses dimanches chez Mme Caillandre ?

— Que me dites-vous là ! balbutia Mathenot, ému de l’importance d’une telle nouvelle et très effrayé de voir les progrès que faisait son concurrent.