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Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/174

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peine, une physionomie aimable et gaie, pour sourire à la nouvelle venue.

Virginie, sans répondre à leurs questions, jeta son ombrelle sur la table et s’écria d’une voix qui tremblait :

— Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il ?

— Rien, fit Andréa, en souriant.

— Alors pourquoi ce colloque ? dit vivement Virginie. Et pourquoi avez-vous paru gênés de me voir ? D’ailleurs, vous avez la figure à l’envers, tous les deux.

Andréa se pencha vers une glace, et sa petite tête blonde et ciselée y apparut toute lointaine, à travers une claire-voie de rameaux, qui la couronnaient très haut d’un jet de fleurs.

— Mais non, je t’assure, elle est toujours en place, ma figure.

— À quoi bon mentir ? dit Sylvestre, avec lassitude. Nous parlions de notre avenir, my darling…

Il y eut un bref silence où l’on entendit tout bas, tout bas, comme un bruit sourd et saccadé de montre ; c’était le cœur de Virginie qui battait, comme un chef d’orchestre nerveux, la mesure de ses appréhensions, de ses tristesses et de ses révoltes, unies dans une symphonie tragique.

— Eh bien ? demanda-t-elle enfin, avec un accent si défait qu’il était douloureux à entendre.

Quoique très angoissé, lui aussi, Sylvestre Legoff essaya de se montrer beau joueur. Il caressa de la main ses souples moustaches brunes, sourit et déclara jovialement :

— Eh bien, j’ai eu une explication sérieuse avec mes ancêtres. Je leur ai annoncé officiellement que je n’épouserai jamais, au grand jamais, leur Marguerite Sorémy, que ce n’était pas mon genre, qu’elle était trop grasse pour moi… Et j’ai terminé mon homélie en leur annonçant que je me marierais avec vous. Ce fut très mélodramatique, cette petite scène.

— Et… ils n’ont pas voulu ? s’écria désolément Virginie.

— Naturellement, dit Sylvestre. Il n’aurait plus manqué que ça qu’ils acceptent ! Et le mélodrame, qu’est-ce qu’il deviendrait ? Virginie, vous témoignez pour l’art