Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/216

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sa tête, où le rond de la tonsure s’élargissait de jour en jour :

— Je suis comme celui qui a semé du bon grain et qui voit grandir de l’ivraie !

Mais en frappant Mme Pioutte, en la repoussant de chez lui, il atteignait Virginie, qui était innocente. Comment concilier tout cela ? Et peu audacieux de son naturel, il redoutait d’affronter la colère de sa sœur.

Des rayons de soleil, entrés par les fenêtres, tendaient, dans le salon, leurs cordes vibrantes où dansaient des peuples d’atomes, dans une ascension continue. Des mouches étourdies et bourdonnantes les traversaient parfois ; elles paraissaient alors lumineuses, c’étaient des balles d’argent qui bondissaient dans la clarté et s’éteignaient tout à coup. Les fuseaux de lumière blanchissaient les mallons usés, comme frottés par le temps. La Jeanne d’Arc puisait toujours son inspiration dans le linge emmaillotant le lustre. Tout respirait une misère décente, respectable, austère, et l’abbé, songeant à sa ruine, n’échappait pas à l’idée que l’instigatrice en avait été cette sœur tant aimée à laquelle il s’était dévoué si longtemps !

Toutes ses hésitations revenaient le harceler à la fois. Il construisait hypothèses sur hypothèses. Ne pourrait-il confier Virginie à Cécile, avec une pension, et reléguer Gaudentie dans sa maison de Sanary, dont elle ne s’était plus occupée depuis son achat et qui était vide de locataires ? Quant à Charles, il ne lui enverrait plus rien. Il était d’âge à se débrouiller seul. Mais quoi ! et son fils ? Allait-il exposer à la misère et à la maladie un enfant innocent ? Et qui sait même si ce bébé était baptisé ?

L’abbé se tourmentait. Pas une minute, il ne songea à accuser la Providence, mais au contraire, d’un cœur plein de foi, il lui offrait ses sacrifices et sa souffrance, et il implorait de Dieu qu’il éclairât sa sœur et qu’il lui inspirât le repentir de ses fautes et une compréhension plus exacte de ses devoirs. Tout de même, il fallait avoir une explication nette avec elle, lui dire une fois pour toutes ce qu’il savait et l’éloigner de lui. Et cette perspective épouvantait Théodore.