Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/23

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Elle avait le nez long et pointu des personnes qui aiment à le mettre partout où il n’a que faire, la bouche boudeuse et saillante, des yeux petits, mobiles, vifs et malicieux.

Mme Maubernard, veuve, sans enfants, brouillée avec toute sa famille, qui se composait de trois frères, et possédant une rente viagère de cinq mille francs, vivait en compagnie d’une bonne, dans une petite maison de la rue des Cyprès. Comme elle n’avait plus rien à mettre dans sa vie, elle se mêlait à celle des autres. Elle avait conservé de nombreux amis à qui elle rendait de menus services, en remerciement des nombreux repas qu’elle prenait chez eux. Elle s’effaçait aux jours prospères pour reparaître aux moments de deuil et de malheur. Elle arrivait immanquablement avec la maladie, la ruine et la mort, comme les corbeaux avec la guerre. Cela la faisait considérer comme une amie dévouée et sincère. Dans les maisons éprouvées, elle devenait prépondérante. Et, sans cesser de s’occuper d’un procès qu’elle avait avec les siens, elle emmanchait des mariages, aidait à des réconciliations, prêchait la concorde et la paix, raccommodait des parents brouillés entre eux. Beaucoup de gens la considéraient comme le bon ange de leur foyer. Elle ne trouvait d’ailleurs à cela aucun intérêt pratique, mais elle y satisfaisait son unique passion.

Mme Pioutte avait toujours été liée avec Mme Maubernard, mais celle-ci était devenue son intime après la ruine et le trépas subit de M. Pioutte. Gaudentie, très abandonnée, alors, par ses amis, gardait beaucoup de reconnaissance à Mme Maubernard de ne l’avoir pas lâchée comme les autres.

Mme Pioutte entra dans le salon où l’on recevait d’habitude les parents des élèves. Cette grande pièce sévère et glacée s’ouvrait par trois fenêtres sur la rue Saint-Savournin. À trois heures, en hiver, il fallait allumer les lampes ; on n’y faisait jamais de feu. Le long des murs, des fauteuils et des chaises de velours rouge étaient rangés, avec la mine rogue et hargneuse d’un tribunal de professeurs qui va examiner des enfants.

Mme Maubernard s’était avancée à la rencontre de son