Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/232

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mes dépouilles… — Et la maison de Sanary, que j’oubliais ? C’est pour qu’il te reste quelque chose dans ma débâcle que tu l’as fait mettre sous ton nom. Et je ne voyais rien… Aveugle ! aveugle ! Ô Dieu, que deviendrais-je si je ne vous avais pas ? Vous saccagez en moi tout ce qui est humain. Eh bien ! j’aurai du courage, je briserai ces affections terrestres ; tout est vain dans la vie, sauf l’amour de Dieu et le sacrifice. La Terre Promise ne s’ouvre qu’aux vaillants. Lorsque la Providence a marqué un être, il faut qu’il aille en haut, toujours en haut, tout droit. C’est vous qui me punissez, Seigneur, et c’est juste. J’avais trop de bonheur, la vie m’était trop douce. Puisque j’avais choisi le célibat pour vous plaire, je ne devais pas vouloir une famille. Vous avez raison, Seigneur, je me soumets. Je chasserai tous ces instruments mauvais, je me séparerai des miens, je me détacherai de tout. Je ne garderai que mon œuvre, ou plutôt la vôtre, j’élèverai encore des enfants pour vous…

Mme Pioutte, qui s’était rassise, écoutait avec horripilation les discours de son frère, sans comprendre que la folie perçait à travers cette frénésie.

Elle l’interrompit en ricanant :

— Ah ! ton œuvre ! Elle est fraîche, ton œuvre. Et c’est en elle que tu as confiance ? Mais elle est finie, mon pauvre Théodore ! Tu t’imagines élever des enfants pour la gloire de Dieu ? Tu ne sais rien, tu ne vois pas ce que tu as sous les yeux, et tu te plains que l’on te trompe… Ces élèves sont des hypocrites, qui ne croient à rien et qui font des patenôtres pour que tu ne les punisses pas. Si tu voyais d’Iffraye-Lencontre et Saurin-Géroville manger leur pain et leur saucisson avant d’aller communier, tu ne m’accuserais pas d’hypocrisie. Tous ont des maîtresses, et ceux qui n’en ont pas ou sont trop jeunes font pis encore. Je ne peux pas tout te dire, mais tu devrais le savoir. Si tu sortais, le soir, tu verrais tous tes anges se promener avec les filles du quartier et entrer dans de sales bouges… Tu ne sais même pas que c’est Délussin qui a tué Combette et que, de dégoût, du Puget et Samoëns ont quitté le pensionnat. Mais tout le monde