Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais il la serra si fort qu’elle cria, et il allait avec elle, le long de la rue, sans chapeau, blême et les traits convulsés.

— Je te tuerai, dit-il, enfin, tu m’as fait rater mon dernier espoir, je te tuerai, te tue-rai…

— Plus souvent que je te laisserai épouser cette fille ! fit Émilie, en secouant ses épaules comme si elles étaient couvertes de chenilles.

— Imbécile ! cria l’économe, Virginie Pioutte s’est fait enlever cette nuit par un agent de change. Le vieux Barbaroux est mourant et j’allais prendre la suite de sa boîte. Maintenant, après le scandale que tu viens de faire, je suis… fichu ! Tout le monde me repoussera, je ne pourrai peut-être même plus trouver de place. Il faudra que je quitte Marseille. Et tout ça à cause de toi, triple sotte !

Transporté de fureur, il lui donna des coups de pied dans les jambes. Ahurie, étourdie, écrasée par le sentiment de sa maladresse et de son erreur, elle se laissait battre en gémissant.

La rue était vide. Personne pour s’interposer. M. Augulanty frappait avec bonheur. Il dépouillait à présent le vieil homme, cet Augulanty, doux, humble, obséquieux, cauteleux, qui flattait chacun et léchait à tour de langue toutes les mains ; maintenant il mordait ; sa vraie nature, si longtemps comprimée, reprenait le dessus, et la brute reparaissait.

Comme Émilie ne se défendait pas, il la gifla de toutes ses forces, puis, la dépassant, il lui donna du poing en pleine figure si violemment que son nez fut en sang. Ce sang se mêlait à ses pleurs, descendait dans sa bouche, et elle hoquetait de douleur, avec ce goût fade entre ses lèvres meurtries. La vue de cette belle liqueur rouge acheva d’exaspérer Augulanty. Il empoigna d’une main sa maîtresse par le cou, et il abattit l’autre, en cadence, comme un marteau sur une enclume. Étouffée, elle râla. Il la laissa enfin. Elle tomba sur le pas d’une porte aveuglée, geignante, les traits tuméfiés et bleuis, les yeux noirs, la bouche suintante de salive rouge, les cheveux coulant sur les tempes et se collant contre ses