Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/7

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sixième. Rien n’était plus antipathique à voir que ce grand diable sombre, chafouin, avec sa large figure vulgaire, convertie en passoire par la petite vérole. Sa voix rauque et sourde, ses yeux défiants, sournois, soupçonneux, la maladresse de ses gestes heurtés, tout avait chez lui le même caractère désagréable. Il affichait ce catholicisme haineux, qui semble s’être introduit en France avec le protestantisme. Il ne voyait en tout qu’une occasion de blâme et d’indignation. Mais, détestant surtout les femmes, il en poursuivait partout, avec des diatribes et des invectives, l’odieux souvenir.

Il ne fut pas tendre pour ses élèves. Leur précocité l’effrayait, Il les croyait attirés par les séductions du monde, les attraits du mal, toutes les pompes de Satan.

L’abbé Barbaroux hochait la tête, d’un air désolé. M. Niolon rêvait. M. Peloutier griffonnait des vers sur une carte de visite. M. Augulanty prit la parole. Il s’exprimait avec une voix douce, mellifflue, presque sirupeuse. Il vantait la piété des enfants qui lui étaient confiés ou blâmait leur indifférence religieuse. Il ne soufflait mot ni de leurs travaux, ni de leur intelligence, il ne prenait souci que de leurs âmes.

L’abbé Barbaroux éçoutait avec satisfaction cet archipatelin. Il le préférait visiblement à ses confrères. Et Mathenot reconnut une fois de plus qu’Augulanty plaisait davantage à son directeur en peignant ses élèves comme de beaux petits saints qu’il ne savait le faire en insistant sur leur dépravation et leur précocité. Mais, quoiqu’il détestât Augulanty et voulût le supplanter dans l’esprit de M. Barbaroux, il avait un caractère trop fougueux et trop cassant pour déguiser sa pensée.

Quand la séance fut à peu près finie, l’abbé Barbaroux se leva et, d’une voix étranglée, commença à parler en ces termes :

— Messieurs, j’ai à vous faire une communication si douloureuse pour moi que j’ai à peine la force de vous la confier…

Tous écoutaient. L’étrangeté de ce début confirmait les troubles secrets nés à la vue de l’abbé et de son économe. Théodore Barbaroux continua :