Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/11

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II

« Il faut que je tire parti du jardin, il faut que je tire parti du jardin », me disais-je à moi-même cinq minutes plus tard, tandis que j’attendais, là-haut, dans la sala longue et obscure dont le sol de scagliola luisait vaguement grâce à un interstice des volets clos. L’endroit était émouvant, bien que quelque peu secret et froid ; Mrs Prest s’était envolée, me donnant rendez-vous d’ici environ une demi-heure sur les degrés d’eau voisins. Et, après avoir tiré une sonnette à chaîne rouillée, j’avais été introduit dans la maison par une petite servante rousse au teint blanc, toute jeune et pas laide, qui portait des patins sonores et son châle sur la tête comme un capuchon.

Elle ne s’était pas contentée d’ouvrir la porte en manœuvrant la poulie gémissante de l’étage supérieur, suivant le système en usage ; elle m’avait d’abord regardé du haut d’une fenêtre, en me posant cette interrogation défiante qui en Italie précède toujours l’acte d’admission. Je me sentis irrité, pour le principe, de cette survivance de mœurs moyen-âgeuses, quoique j’eusse dû l’apprécier en amateur si passionné — bien que très spécialisé — des choses d’autrefois. Mais, plein de la résolution d’être affable à tout prix dès le début, je tirai ma fausse carte de visite de ma poche et la lui montrai d’en bas, en souriant, comme si c’eût été un talisman, et de fait, cela en eut tout l’effet, car cela la fit descendre, comme je l’ai dit, jusqu’à l’entrée.

Je la priai de la porter à sa maîtresse, ayant tout d’abord écrit en italien les mots : « Auriez-vous l’extrême bonté de recevoir un instant un voyageur américain ? »

La petite bonne ne se montra pas hostile ; cela était peut-être déjà quelque chose de gagné. Elle rougit, elle sourit et parut à la fois amusée et effrayée. Je voyais bien que mon arrivée était toute une affaire, que les visites étaient rares dans cette maison et qu’elle était de ces personnes qui aiment les places à remue-