Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/74

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Miss Tina posa les mains sur le dossier du fauteuil roulant et se mit à le pousser, mais je la suppliai de me laisser prendre sa place.

— Oui, oui, vous pouvez me mener de ce côté ; de l’autre, jamais ! s’écria la vieille femme tandis qu’elle se sentait rouler tout droit et très doucement sur le sol uni et dur comme du marbre.

Avant d’atteindre la porte de son appartement, elle me pria d’arrêter et elle jeta un dernier et long regard du haut en bas de la noble salle.

— Oh ! c’est une maison prodigieuse ! murmura-t-elle. Après quoi, je la poussai plus loin.

Lorsque nous fûmes dans le salon, Miss Tina me fit entendre qu’elle pouvait maintenant se charger de sa tante, et, au même instant, la petite servante accourut au-devant de sa maîtresse. L’idée de Miss Tina était évidemment de mettre sa tante au lit tout de suite. Je dois confesser qu’en dépit de cette urgence je me rendis coupable d’indiscrétion en m’attardant dans cette pièce ; j’y étais retenu par la sensation d’être tout près des objets que je convoitais ; ils étaient sans doute rangés quelque part dans cette chambre fanée et inhospitalière. Elle était cependant d’une nudité qui excluait l’idée de trésors cachés. Il n’y avait ni coins noyés d’ombre, ni angles enveloppés de rideaux, ni cabinets massifs, ni coffres bardés de fer. D’ailleurs, il était possible, il était même probable, que la vieille dame consignait ses reliques dans sa chambre à coucher, dans quelque boîte éraillée poussée sous son lit, dans le tiroir de quelque toilette boiteuse, où la lumière diffuse de sa veilleuse lui permettait encore de les apercevoir la nuit.

Néanmoins, mes yeux se posaient sur chaque meuble, sur tout ce qui pouvait abriter un secret, et remarquèrent qu’il y avait une demi-douzaine de choses à tiroirs, et, en particulier, un vieux secrétaire très haut, de style empire, avec des