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Page:James Darmesteter - Coup d oeil sur l histoire du peuple juif, 1882.djvu/25

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dha sur les bords du Gange, et qui vont avoir une si merveilleuse fortune aux bords de la Seine et de là dans toute l’Europe.

Par dessous ces actions visibles, une action sourde et invisible, inconsciente chez ceux qui l’exercent et ceux qui la subissent, et qui justifie après coup les haines de l’Église : c’est la polémique religieuse, qui ronge obscurément le Christianisme. La politique de l’Église à l’égard des Juifs eut toujours quelque chose d’incertain et de trouble qu’elle n’eut point devant les autres religions et devant les hérétiques. La haine du peuple contre le Juif est l’œuvre de l’Église[1], et c’est pourtant elle seule qui le protège contre les fureurs qu’elle a déchaînées. C’est qu’elle a à la fois besoin du Juif et peur de lui : besoin de lui, parce que c’est sur son livre que le Christianisme est édifié ; peur de lui, parce qu’étant le seul vraiment qui ait le secret du livre, il peut juger la foi de ses juges, et parfois, à un sourire, à un mot qui lui échappe, on voit qu’il la condamne et se fait fort, au fond de lui-même, d’en manifester les déceptions et l’erreur : c’est le démon qui a la clef du sanctuaire. De là le grand rêve du prêtre : non de brûler le Juif, mais de le convertir ; on ne le brûle, sauf accident, qu’en désespoir de cause. Convertir des milliers de Sarrasins ou d’idolâtres n’est rien, ne prouve rien : mais convertir un Juif, faire reconnaître la légitimité de la foi nouvelle par l’héritier de la foi préparatoire, voilà le vrai triomphe, la vraie preuve, le témoignage suprême et irrécusable : tant qu’il reste un membre de l’ancienne Église qui nie, l’Église nouvelle se sent mal à l’aise et troublée dans sa quiétude d’héritière. De là toutes ces controverses solennelles provoquées par l’Église, toujours terminées en apparence par sa victoire, — abjuration, expulsion ou bûcher, — mais dont elle sort ébranlée sans le savoir, car la réponse, humble et accablante, des accusés, trouve çà et là, parfois dans l’enceinte d’un couvent, une oreille qui la recueille, une âme inquiète où elle descend et travaille. C’est pis encore avec des laïques : saint Louis, effrayé, veut que le laïque me discute avec le Juif qu’à coups d’épée[2]. Mais plus d’un, entré

  1. Voir plus bas, page 18.
  2. « (Grande folie avait-il fait) d’assembler telle desputoison ; car avant que la desputoisons fust menée à fin, avoit-il ceans grant foison de bons crestiens, qui s’en fussent parti tuit mescreant, par ce que il n’eussent mie bien entendu les Juis.