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JAMES ENSOR

son, ce pendant qu’il happe un autre poisson. Absolument rien ne le distrait, ni le chien qui vole les pains d’un boulanger trôlant à travers le paysage, ni les vomissements d’une brute se soulageant dans une rivière, ni la noyade d’un homme dans un tonneau, ni le tournoiement des ailes d’un moulin formant une face humaine, dont les yeux sont des lucarnes, les oreilles des abat-sac, la bouche un grenier, ni le crépitement des flammes de gigantesques fourneaux cuisant de sardanapalesques repas : rien, vous dis-je, ne l’émeut ! Néanmoins, une moralité se dégage de cette patarafe. Mais ce dernier mot est-il juste ? Non ; car les traits de Breughel ne sont pas informes. N’en résulte-t-il pas une suscilalion transcendantale ? N’est-ce pas qu’ils enseignent un dictame ? Alors peu chaut qu’ils soient plus ou moins élégants, puisqu’ils sont éloquents !

L’expression et l’invention se rencontrent donc dans les œuvres dues aux Simon Marmion, aux Jhéronimus Bosch et aux Breughel. En effet, elles reproduisent des représentations vivantes, et ce sont des imitations combinées. Mais leur base se retrouve dans les données canoniques religieuses, et voilà pourquoi elles sont synthétiques. Or, chez un maître belge contemporain, jeune et doué d’un esprit curieux, — nous entendons James Ensor, — à quelques siècles de distance, ou remarque les vouloirs qui animaient ses prédécesseurs flamands. Seulement, s’il est vrai que ces primitifs, dans leur foi naïve, ont prétendu servir avant tout la religion catholique, lui n’est pas hanté de pareilles préoccupations. D’ailleurs, pourrait-il en être ainsi ? Notre siècle est finissant. La morale d’autrefois croule. C’est à peine si l’ordre des choses établi n’est renversé. Le scepticisme, en somme, a pénétré chez tous. Bref, nous assistons à un renouveau et nous voyons poindre l’aurore d’un état social autre que celui que nous avons connu, qui sera aussi dissemblable peut-être que les civilisations antiques des civilisations modernes. L’heure n’est point, par conséquent, aux synthèses idéales. Le doute angoisse. On ne sait où l’on va. La constatation pure et simple des faits préoccupe. C’est en elle qu’on croit découvrir ce qui sera. Enfin l’artiste ostendais, quoique expressif et inventif dans son art, n’est point synthétique, et pourquoi ? Parce que, observateur, il voit les choses telles qu’elles sont, en devenir ; et c’est ce qui dif-

CROQUIS.

LES SACRIPANTS.