Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/102

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primé le désir de rester en correspondance avec nous, nous disait : « Ah, maudit fédéralisme ! C’est cette idée de fédéralisme qui perdra le mouvement ouvrier. C’est une idée réactionnaire, bourgeoise. » Là-dessus nous lui fîmes observer comment, en France, l’idée fédéraliste était un produit nécessaire du développement historique ; après la féodalité, est venue la centralisation, qui a constitué l’État moderne, et dont les agents ont été, d’abord la monarchie absolue, puis la république jacobine et l’empire ; cette centralisation a fait son temps, et l’idée fédéraliste, dont la première manifestation éclatante a été la Commune de Paris, est appelée à la remplacer. En Allemagne, ajoutâmes-nous, on est encore en plein dans la période de centralisation, car l’Allemagne sort à peine du régime féodal ; de là vient que l’idéal des socialistes allemands, comme celui des jacobins de 1793, est un État fortement centralisé ; mais cet idéal n’aura qu’un temps, et un jour ou l’autre le peuple allemand fera, comme l’a fait le peuple français, son évolution vers le fédéralisme.

Cet exposé historique fit beaucoup rire notre interlocuteur, qui parut nous trouver prodigieusement ignorants. Il nous expliqua qu’en Allemagne la période du fédéralisme était déjà passée, que les socialistes allemands l’avaient derrière eux et non devant eux ; et que les Français, au contraire, avec leur Commune, en étaient encore au moyen âge.

Il confondait évidemment le fédéralisme avec la féodalité, — à moins qu’il n’existe une philosophie de l’histoire spéciale à l’usage des socialistes allemands.

— Mais, dîmes-nous, que pensez-vous donc de la Commune de Paris ?

— Je pense, répondit-il, que ce qui a perdu la Commune de Paris, c’est justement cette funeste tendance au fédéralisme : c’est là ce qui a empêché la France entière de se soulever. Paris aurait dû agir, non pas en Commune libre, mais en dictateur de la France, et la France aurait marché. Si jamais Berlin fait une révolution, je vous réponds qu’on s’y prendra autrement, et que ce ne sera pas au nom de la Commune.

Nous croyons inutile de dire le nom de notre interlocuteur[1] ; il se reconnaîtra bien lui-même, et pourra attester si nous n’avons pas fidèlement rapporté ses idées, qui sont celles de tout ce parti démocrate socialiste allemand dont le Volksstaat est l’organe principal.

Dans cette même soirée du samedi, la discussion nous montra clairement ce qu’on entendait lorsqu’on annonçait, dans le programme du Congrès, que les sociétés ouvrières devaient s’organiser pour l’action économique, mais non pour l’action politique. Les rédacteurs du programme expliquèrent que, dans leur esprit, cela ne voulait pas dire que les réformes sociales pussent s’accomplir en dehors de l’État et contre l’État ; bien au contraire, ils croient l’intervention de l’État absolument indispensable pour obtenir des résultats sérieux. Seulement, ajoutèrent-ils, en Suisse les ouvriers ont une situation particulière. [Suit, dans le Bulletin, un passage, déjà résumé plus haut, relatif à la présence de nombreux ouvriers étrangers dans les organisations corporatives en Suisse, ce qui empêche

  1. Si mes souvenirs sont exacts, cet interlocuteur était Gutsmann, un ouvrier allemand (d’Allemagne) habitant Genève. C’est lui qui présida le Congrès d’Olten.