Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/161

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général d’Amérique en Europe, et le placer… à Genève même, où Henri Perret serait devenu secrétaire général ! J.-Ph. Becker, le fidèle allié de Marx et de Sorge, se trouvait dans la plus grande perplexité, se demandant comment il pourrait tenir en échec cette coterie genevoise, dont l’ambition n’avait d’égale que sa nullité ; les lettres de Becker à Sorge racontent sans ambages les manœuvres dont il usa lorsque, se voyant abandonné de tous, même des grands chefs de Londres, il lui fallut créer des marionnettes pour le guignol dont, à défaut de Sorge et d’Engels, il dut se constituer l’imprésario.

Le 21 août il écrivait à Sorge : « Les dissidents (Sonderbündler) tiennent huit jours avant nous, et à Genève également, leur premier congrès séparatiste, et ils se vantent bien haut des nombreuses délégations qui y viendront de tous les pays, même d’Allemagne. Il faut donc faire tous nos efforts pour que le nôtre non seulement ne le cède en rien au leur, sous aucun rapport, mais le surpasse de beaucoup en éclat. »

Mais voilà que Serrailler, sur l’ordre de Marx, écrit qu’il n’ira pas au Congrès, et que le pseudo-Conseil fédéral anglais, également stylé, déclare aussi ne pas vouloir se faire représenter[1]. Que devenir ! à quel saint se vouer ! Comment constituer un Congrès général avec les seuls Genevois ? Becker en perdait la tête. Heureusement qu’au dernier moment un sauveur se présente : c’est Oberwinder, qui, voyant qu’en Allemagne les hommes du Volksstaat ont pris parti contre lui et pour son rival Scheu, a imaginé, pour rétablir ses affaires, d’aller au Congrès convoqué par Sorge. Il se rend à Genève, sous le faux nom de Schwarz, s’abouche avec Becker, et lui offre une douzaine de mandats autrichiens fabriqués de sa main ; ces mandats, distribués à des Allemands de Genève et d’ailleurs, permettront de créer des délégués en nombre suffisant pour tenir tête à ceux de la coterie genevoise. Becker accepte, et ce Congrès, « qui, dans les plus misérables conditions, se pendait à son cou en le suppliant de le sauver » (lettre à Sorge du 22 septembre), devient, grâce aux mandats de M. Schwarz, quelque chose de présentable : c’est Becker qui l’affirme, en déclarant que « le résultat a dépassé son attente », et qu’il en a été « relativement satisfait ».

Le Congrès, autant qu’on peut le savoir par les comptes-rendus très incomplets de la presse[2], comptait une douzaine de délégués (de langue française) de Genève, un délégué de la Section de Moutier[3], un délégué d’Allemagne[4], quatre délégués de la Suisse allemande, neuf délégués allemands habitant Genève[5], et enfin l’Autrichien Oberwinder sous le nom de Schwarz. Quant aux décisions prises par le Congrès, elles n’ont jamais été publiées, et nous ne les connûmes que par ouï-dire. Van den Abeele, qui était allé, au nom de la Fédération hollandaise, poser un ultimatum aux représentants du marxisme, se

  1. La pseudo-Fédération anglaise n’avait pas eu l’intention d’envoyer un délégué, car elle n’avait pas d’argent ; mais elle avait pensé à se faire représenter par des Genevois, et le Comité romand de Genève, indocile, avait refusé d’accepter les mandats qu’elle lui offrait. Ce qu’ayant appris, Marx fit écrire (voir p. 138) que les Anglais ne voulaient rien savoir du Congrès de Genève, et que Serraillier ne s’y rendrait pas.
  2. « La Tagwacht de Zürich paraît avoir été tellement atterrée de la déconfiture de ce Congrès pour rire, qu’après avoir publié une première correspondance où on annonçait pompeusement l’ouverture de ses séances, elle a complètement cessé d’en parler. Ce silence est bien significatif. » (Bulletin.)
  3. La Section de Moutier était représentée par un avocat français, M. Durand-Savoyat, personnage assez ridicule, qui se tenait à l’écart de la proscription communaliste.
  4. C’était Motteler.
  5. Les délégués « de la Suisse allemande », ainsi que les délégués « allemands » habitant Genève, étaient les hommes de paille auxquels Becker avait remis les mandats fabriqués par Oberwinder.