Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/171

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Peu de jours avant de quitter Berne pour retourner à Locarno, Bakounine écrivit une seconde lettre, adressée cette fois à la Fédération jurassienne, pour lui annoncer sa retraite de la vie publique et la prier, en conséquence, d’accepter sa démission de membre de l’Internationale. Cette lettre fut imprimée également dans le supplément du Bulletin du 12 octobre ; je la fis précéder de quelques lignes ainsi conçues :


Le Comité fédéral jurassien a reçu du compagnon Bakounine la lettre ci-dessous, que ce Comité a décidé de publier dans le Bulletin ; les attaques dont notre Fédération a été l’objet, parce qu’elle a cru devoir maintenir à Bakounine sa qualité de membre de l’Internationale après le Congrès de la Haye, ayant été publiques, il est nécessaire que le dénouement de cette longue lutte soit rendu public aussi, afin que chacun puisse apprécier les faits en pleine connaissance de cause. En donnant acte au compagnon Bakounine de la démission qu’il nous adresse par la lettre qu’on va lire, démission motivée par son âge et son état de maladie, nous croyons être l’organe de tous les membres de la Fédération jurassienne en l’assurant que l’estime et l’amitié des internationaux du Jura, auxquels il a rendu d’éminents services, le suivront dans sa retraite.


Voici cette lettre de démission et d’adieu :


Aux compagnons de la Fédération jurassienne.
Chers compagnons,

Je ne puis ni ne dois quitter la vie publique sans vous adresser un dernier mot de reconnaissance et de sympathie.

Depuis quatre ans et demi à peu près que nous nous connaissons, malgré tous les artifices de nos ennemis communs et les calomnies infâmes qu’ils ont déversées contre moi, vous m’avez gardé votre estime, votre amitié et votre confiance. Vous ne vous êtes pas même laissé intimider par cette dénomination de « bakouninistes »[1] qu’ils vous avaient jetée à la face, aimant mieux garder l’apparence d’avoir été des hommes dépendants, que la certitude d’avoir été injustes.

Et d’ailleurs vous avez eu toujours et à un si haut degré la conscience de l’indépendance et de la parfaite spontanéité de vos opinions, de vos tendances, de vos actes, et l’intention perfide de nos adversaires était si transparente, d’un autre côté, que vous n’avez pu traiter leurs insinuations calomnieuses et blessantes qu’avec le plus profond mépris.

Vous l’avez fait, et c’est précisément parce que vous avez eu le courage et la constance de le faire, que vous venez de remporter aujourd’hui, contre l’intrigue ambitieuse des marxistes, et au profit de la liberté du prolétariat et de tout l’avenir de l’Internationale, une victoire si complète.

Puissamment secourus par vos frères de l’Italie, de l’Espagne, de la France, de la Belgique, de la Hollande, de l’Angleterre et de l’Amérique, vous avez remis la grande Association internationale des travailleurs sur le

  1. Bakounine a écrit « bakouninistes » parce que cette forme lui paraissait d’une dérivation plus correcte que le terme de « bakounistes » (Bakunisten), employé par les Allemands.