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l’Espagne venait d’être le théâtre[1]. Aux calomnies et aux injures d’Engels, je répondis dans le Bulletin par deux articles qu’il me paraît nécessaire de reproduire, parce que, d’abord, ils feront mieux connaître le triste caractère de l’ami de Marx et les procédés de polémique de ce personnage, et que, d’autre part, ils compléteront le récit très sommaire que j’ai fait plus haut des insurrections espagnoles de juillet 1873. Par places, — on le verra, — l’indignation m’avait entraîné à quelques outrances de langage : c’est, comme le disait Mme  André Léo (voir tome II p. 313), que les Jurassiens ne sont pas des anges. Voici les deux articles du Bulletin :


M. Engels et les ouvriers espagnols.
(Bulletin du 9 novembre 1873.)

Le Volksstaat continue son œuvre de démoralisation et de calomnie. Il vient de publier deux articles de M. Engels sur l’insurrection d’Espagne, articles destinés uniquement à jeter de la boue aux ouvriers espagnols et à les tourner en ridicule. Les ouvriers espagnols, selon M. Engels, sont des lâches et des imbéciles ; les uns n’ont pas osé se battre, les autres n’ont pas su se battre ; et il raconte à sa façon les événements d’Alcoy, de Cordoue, de Séville, de Cadix, de San Lucar, etc.. versant à pleines mains le fiel et l’injure. Et tout cela pourquoi ? parce que les ouvriers espagnols ont prononcé, comme ceux de presque toute l’Europe, la déchéance du Conseil général de New York et ont rejeté les résolutions de la Haye. La rancune toute personnelle de M. Engels est si violente à ce sujet, qu’elle lui fait perdre toute pudeur et, disons-le, toute prudence : il jette le masque, il se délecte à raconter les victoires de la réaction et les défaites des révolutionnaires, il triomphe de voir ces ouvriers espagnols, qui avaient osé se révolter contre Marx, châtiés et fusillés comme ils le méritent par les sicaires de la bourgeoisie. Il faut avoir lu ces pages incroyables pour savoir à quel degré d’aberration morale la haine et l’esprit de vengeance peuvent conduire un homme.

Comme en Espagne très peu de personnes peuvent lire l’allemand, nous traduisons quelques-uns des passages des odieux articles de M. Engels, afin que les organes de l’Internationale en Espagne puissent les mettre sous les yeux de leurs lecteurs.

M. Engels porte d’abord sur la situation économique et politique de l’Espagne, et sur la ligne de conduite que doit suivre le prolétariat de ce pays, un jugement qui vaut la peine d’être traduit tout entier. On y verra dans tout leur jour les doctrines de l’école de Marx :

« L’Espagne est un pays si retardé sous le rapport de l’industrie qu’il ne peut y être question d’une émancipation immédiate des travailleurs. Avant d’en arriver là, l’Espagne devra passer encore par bien des phases de dé-

  1. Les articles d’Engels, augmentés de l’extrait d’un rapport de la fameuse Nueva Federacion madrileña (les neuf marionnettes de M. Lafargue), furent publiés ensuite en brochure sous ce titre : Die Bakunisten an der Arbeit (Les Bakounistes à l’œuvre). Cette brochure, réimprimée en 1894 dans l’opuscule Internationales aus dem Volksstaat, est encore aujourd’hui lue et acceptée par les socialistes allemands comme parole d’évangile ; bien mieux, on en a fait en 1905 une traduction russe, afin de calomnier par avance les « bakounistes » de Russie et leur action dans la révolution russe.