Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnon Viñas qui s’est emparé de l’hôtel de ville à la tête d’une poignée d’alliancistes[1], et s’y est maintenu pendant plusieurs jours malgré l’apathie de beaucoup d’ouvriers qui, travaillés par les amis de Castelar et par ceux de Marx, refusaient de s’associer à une révolution, sous prétexte qu’on avait la république et que cela suffisait.

Quant aux événements d’Alcoy, M. Engels fait tout ce qu’il peut pour les tourner en ridicule, il montre d’une part les ouvriers au nombre de cinq mille, et d’autre part seulement trente-deux gendarmes ; il se moque de ce combat de vingt heures, où cinq mille hommes ne viennent à bout d’en vaincre trente-deux que parce que ces derniers n’avaient plus de munitions ; et il plaisante agréablement sur le nombre des morts parmi les ouvriers, qui ne s’élève qu’à dix ; il trouve que c’est trop peu, et ajoute que les ouvriers d’Alcoy agissent selon le précepte de Falstatf, qui pensait que « la prudence est la meilleure partie du courage ».

Peut-on voir quelque chose de plus révoltant que ces froides railleries sur des cadavres ? M. Engels est un riche manufacturier retiré des affaires ; il est habitué à regarder les ouvriers comme de la chair à machines et de la chair à canon ; cela explique ses doctrines et son style.

Nous ne referons pas, à ce propos, le récit des événements d’Alcoy ; ils sont trop connus. On sait que les ouvriers n’avaient pour toutes armes qu’environ un millier de fusils de tout système et de tout calibre ; ils manquaient de munitions ; leurs adversaires les bourgeois, aidés de la police municipale, bien armés, bien barricadés, occupaient l’hôtel de ville et les maisons avoisinantes ; pour les déloger, on dut brûler plusieurs maisons, et M. Engels trouve encore moyen de faire de l’esprit à ce sujet[2].

À propos de l’insurrection des villes d’Andalousie, dirigée par les intransigeants et à laquelle prirent part en quelques endroits les internationaux, M. Engels s’attache à représenter les ouvriers espagnols comme des lâches, qui se rendent sans combat, ou qui ne font qu’un simulacre de résistance ; il nous montre le général Pavia entrant successivement et « presque sans coup férir à Cordoue, à Séville, à Cadix, à Málaga, à Grenade. On sait cependant quelle énergique résistance Pavia rencontra partout où il y avait des internationaux mêlés au mouvement ; les internationaux, les alliancistes furent les seuls qui se battirent sérieusement. Ce sont trois cents alliancistes qui ont tenu tout un jour en échec dans les rues de Séville l’armée de Pavia, et celui-ci a rendu hommage à leur héroïsme dans son rapport officiel, où il dit : « Les insurgés de Séville se sont battus comme des lions ».

Après avoir raconté, avec une satisfaction qui perce à chaque ligne, les victoires de l’armée du gouvernement sur les socialistes andalous, M. Engels change tout à coup de ton, il embouche la trompette épique, il s’apprête à célébrer des exploits mémorables : il va parler de Valencia ! Et pourquoi ce changement soudain ? pourquoi admire-t-il si fort Valencia, quand il n’a su trouver que des injures pour Alcoy ? pourquoi les défenseurs de Valencia sont-ils des héros, tandis que ceux de Séville sont des

  1. Voir plus haut, p. 86.
  2. «... in vier oder fünf Häusern am Markt, welche Häuser auf gut preussisch vom Volke niedergebrannt wurden. » Je me sens incapable de faire goûter au lecteur français le sel de cette pauvreté, que M. Engels croit une bonne plaisanterie.