Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/181

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politique qu’il voudrait voir pratiquée par les ouvriers espagnols. S’agit-il de briser le gouvernement, de détruire l’État centralisé et de le remplacer par la fédération des communes ? S’agit-il d’organiser le travail et les forces économiques de bas en haut et non de haut en bas ? Oh non ! tout cela, M. Engels le repousse, le combat ; c’est une doctrine détestable, c’est ce qu’il appelle du bakounisme. Il est adversaire déclaré du fédéralisme.

« Comme les Cortès tardaient trop à démembrer l’Espagne, au gré de Messieurs les intransigeants, — dit-il, — ceux-ci voulurent mettre eux-mêmes la main à l’œuvre et proclamer partout la souveraineté des cantons. Les bakounistes prêchaient depuis des années que toute action révolutionnaire de haut en bas est nuisible, que tout doit se faire et s’organiser de bas en haut. Maintenant s’offrait une occasion de réaliser de bas en haut le fameux principe de l’autonomie, du moins pour les villes ; on s’empressa d’en profiter[1]. »

Aussitôt après, d’ailleurs, il prétend que les socialistes espagnols, après avoir théoriquement prêché l’abolition de tout gouvernement, se sont empressés de constituer des gouvernements dans les villes insurgées. M. Engels, qui ne brille ni par la bonne foi, ni par l’intelligence, prend les juntes révolutionnaires pour des gouvernements : il confond la Commune révolutionnaire avec l’État ; et parce que les internationaux espagnols, dans la lutte, créent une organisation municipale destinée à diriger le combat, il leur crie : « Vous rétablissez le gouvernement ». La belle argumentation que voilà ! À ce compte, les internationaux ne pourront plus avoir ni bureaux de section ni conseils fédéraux, sous prétexte que ce seraient là des gouvernements.

M. Engels sait très bien ce qui constitue un gouvernement ; il sait très bien qu’une délégation temporaire, toujours révocable, et munie d’un mandat dont l’objet est clairement déterminé, n’est pas un gouvernement. Mais à quoi bon discuter avec des adversaires de cette espèce ? Nous avons dis-

  1. Engels feint de croire que les insurrections cantonalistes — dont la direction resta entre les mains des intransigeants, adversaires déclarés du socialisme — furent la mise en œuvre des théories de Bakounine. Il écrit encore : « La dispersion et l’isolement des forces révolutionnaires furent proclamées, par les fédéralistes espagnols, le principe de la suprême sagesse révolutionnaire ; et Bakounine eut cette satisfaction de voir appliquer sa doctrine. Il avait déjà, en septembre 1870 (Lettres à un Français), déclaré que le seul moyen de chasser de France les Prussiens consistait à abolir toute direction centrale, et à laisser chaque ville, chaque village, chaque commune, faire la guerre pour son propre compte. » Nous avons là un nouvel exemple de la bonne foi d’Engels. Dans les Lettres à un Français, Bakounine dit expressément (p. 14) : « Que doivent donc faire les autorités révolutionnaires — et tâchons qu’il y en ait aussi peu que possible — que doivent-elles faire pour étendre et pour organiser la Révolution ? Elles doivent non la faire elles-mêmes par des décrets, non l’imposer aux masses, mais la provoquer dans les masses, et,… en suscitant leur organisation autonome de bas en haut, travailler, à l’aide de l’influence individuelle sur les hommes les plus intelligents de chaque localité, pour que cette organisation soit autant que possible conforme aux vrais principes. » On sait que l’affiche du 26 septembre, qui servit de programme au mouvement lyonnais (voir t. II, p. 94), et qui porte la signature de Bakounine, propose la constitution, dans toutes les communes fédérées, de « Comités du salut de la France », et l’envoi à Lyon de deux délégués par Comité de chef-lieu de département pour y former une « Convention révolutionnaire du salut de la France ». Où est donc « l’abolition de toute direction centrale » ?