Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/191

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laissent aux petites coteries des diverses nuances libérales les puériles disputes de clocher, et qu’ils s’occupent, avec leurs compagnons de toute l’Internationale, à préparer la grande révolution qui, avant la fin de ce siècle, aura balayé toutes les iniquités du monde bourgeois. Voilà la seule œuvre à laquelle puisse travailler un homme sérieux et convaincu, la seule pour laquelle il vaille la peine de vivre et de mourir.


La majorité des électeurs neuchâtelois s’étant prononcée pour une revision partielle de la constitution cantonale, une Constituante fut élue, qui se réunit à Neuchâtel le 27 octobre (et dont les délibérations aboutirent à l’adoption du referendum cantonal, mais non à celle de la séparation de l’Église et de l’État). Le Bulletin écrivit à ce sujet (2 novembre) :


Lundi dernier, dans les rues de Neuchâtel, les curieux ébahis regardaient défiler l’Assemblée constituante, qui se rendait processionnellement de l’hôtel de ville à l’église du château pour y être assermentée et y entendre les exhortations d’un jeune pasteur, chargé d’inculquer la sagesse à toutes ces têtes grises.

C’était un spectacle fait pour inspirer d’utiles réflexions aux ouvriers qui regardaient passer ce cortège. En tête et en queue marchaient les enfants des écoles, en uniforme et le fusil sur l’épaule[1]. Pourquoi ces fusils ? Qui voulait-on tuer ? Craignait-on que quelque tête brûlée de socialiste n’eût l’audace d’attenter à la majesté de la représentation nationale ? Puis, pourquoi cette sonnerie de cloches et ce service religieux ? Comment ces hommes, sur lesquels il n’y en a pas dix qui croient en Dieu, peuvent-ils se prêter à cette ridicule comédie ? Enfin et surtout, pourquoi un si pompeux appareil délibérant (et si coûteux) pour reviser deux pauvres articles de constitution ? Ô sottises démocratiques ! qui vous voit de près se désabuse bien vite des illusions de la politique soi-disant républicaine.

Pourtant, ce qui inspirait aux socialistes mêlés à la foule les réflexions les plus tristes, ce n’était ni les cloches, ni les fusils des cadets, ni le trou fait au budget : c’était la présence, parmi ces représentants de la bourgeoisie, d’un ancien socialiste passé à l’ennemi, du fondateur de l’Internationale dans nos Montagnes, qui maintenant siège à la Constituante grâce aux suffrages des électeurs royalistes et cléricaux du Val de Ruz[2].


Le Congrès général de Genève avait déclaré que l’Internationale entendait pratiquer envers tous les travailleurs du monde, quelle que fût l’organisation qu’ils s’étaient donnée, la solidarité dans la lutte contre le capital. À l’occasion de la grève des mécaniciens du Centre-Hainaut (Belgique), le Comité fédéral jurassien adressa une circulaire pressante aux Sections jurassiennes, les invitant à venir en aide aux grévistes non-seulement directement, mais encore en s’efforçant d’intéresser à leur cause les sociétés ouvrières non adhérentes à l’Internationale. Une lettre fut écrite (1er octobre) au Comité central du Schweizerischer Arbeiterbund, disant : « La différence d’opinion qui nous sépare actuellement sur certaines questions de principes ne doit pas exclure la solidarité

  1. Dans plusieurs villes suisses, les écoliers sont organisés en bataillons scolaires ; on les appelle les cadets.
  2. Il s’agit de Pierre Coullery, qui depuis 1869 était attaché comme médecin à la fabrique d’ébauches de montres de Fontainemelon (Val de Ruz), dont les propriétaires, les frères Robert, étaient des notabilités du parti conservateur ou « royaliste » neuchâtelois. Voir t. Ier, p. 188.