Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlé déjà, qui édicterait des lois pour l’organisation des services publics en faveur des travailleurs.

« Schwitzguébel. Il devient évident que la question se pose entre l’État ou l’an-archie[1]. En effet, le rapport bruxellois et les opinions émises par différents compagnons aboutissent à la reconstitution de l’État. On prend comme point de départ de l’organisation sociale l’ensemble des collectivités humaines, soit dans les communes, soit dans les régions ou pays. Pour que la volonté, les vœux de ces collectivités puissent se faire valoir, il leur faut des représentations qui déterminent et coordonnent cette volonté ; nous recréons ainsi les assemblées législatives, qui édicteront des lois ; il faudra des pouvoirs exécutifs pour faire exécuter la loi ; il faudra toute la magistrature, l’ordre judiciaire, la police, l’armée même, pour consacrer tout cela. Quelle différence y aura-t-il entre cet ordre futur et l’ordre actuel ? Ce seront, tout simplement, les ouvriers qui seront au pouvoir et non plus les bourgeois. On aura fait ce que la bourgeoisie a fait vis-à-vis de la noblesse. Dans la Fédération jurassienne, nous pensons que la Révolution sociale ne doit pas seulement avoir pour but de mettre les ouvriers en possession des instruments de travail sous n’importe quelle forme, mais de conquérir aussi la liberté humaine contre toute espèce d’autorité. Nous voulons donc la dissolution de l’État et la réorganisation absolument libre des travailleurs entre eux, des groupes entre eux, des communes entre elles ; et les rapports déterminés, non pas par la loi imposée à tous, mais par des contrats librement débattus et consentis et n’engageant que les contractants. C’est ainsi qu’un travailleur peut rester en dehors du pacte de son métier, un groupe en dehors du pacte fédératif dans la commune, et une commune en dehors du pacte fédératif dans la région. Le mal qui pourrait résulter de cette pratique de la liberté sera toujours moindre que celui qui résulterait de la reconstitution des États.

« De Paepe. On a cru qu’à la suite de la révolte des fédérations de l’Internationale contre les actes autoritaires du Congrès de la Haye, et de la consécration du principe d’autonomie et de fédération dans l’organisation de notre Association, l’idée de l’État ouvrier avait vécu. Le débat entre l’État ouvrier et l’an-archie reste au contraire ouvert, et depuis les discussions si importantes qui ont agité l’Internationale à propos de la propriété [en 1868 et 1869], aucune n’est aussi sérieuse que celle qui, sous la dénomination « Par qui et comment seront faits les services publics dans la société future », agite en ce moment notre Association. Cette question embrasse toute la question sociale, et de la manière dont nous l’envisagerons et la résoudrons pourra aussi dépendre l’action que nous chercherons à imprimer aux événements révolutionnaires, lorsque nous serons appelés à intervenir. — Il faut d’abord remarquer qu’en Espagne, en Italie, dans le Jura, on est partisan de l’an-archie, et qu’en Allemagne, en Angleterre, on est partisan de l’État ouvrier ; la Belgique flotte encore entre les deux tendances. Cette situation nous permet d’entrevoir que chacune des deux tendances se réalisera de son côté dans les pays où elle est devenue spéciale à tel peuple. De Paepe pense qu’il serait plus pratique que les fédérations, au lieu de se lancer dans l’inconnu et l’imprévu, s’emparent de la direction des États et les transforment en États socialistes ouvriers. Les choses se passeront sans doute ainsi chez la plupart des peuples, où les ouvriers trouveront beaucoup plus simple et plus facile de s’emparer des États existants, que de tout abolir et de tout réorganiser ensuite. Mais chez d’autres, en Espagne par exemple, par suite des déchirements intérieurs auxquels l’État est livré, la situation devient de plus en plus anarchique, et alors rien de plus naturel qu’un peuple placé dans ces conditions se reconstitue absolument à nouveau, de bas en haut. Toutefois De Paepe entrevoit dans la révolution anarchiste, des dangers sérieux pour l’émancipation des travailleurs, à

  1. Le Bulletin a imprimé, ici et plus loin, et à dessein, an-archie eu deux mots, à l’exemple de Proudhon.