Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/267

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ce manuscrit, quelque peu retouché, que je publiai deux ans plus tard, en 1876, sous le titre d’Idées sur l’organisation sociale, en supprimant un chapitre spécialement destiné aux Italiens, où il était parlé des mesures pratiques d’expropriation, ainsi que de la propagande révolutionnaire dans l’armée.


En Belgique, le Congrès de la Fédération, tenu à Verviers les 25 et 26 décembre 1874, maintint le Conseil régional dans cette ville pour une nouvelle année. Une grève de houilleurs eut lieu en décembre à Charleroi : « Les grévistes, pauvres ouvriers ignorants, ont envoyé une députation au roi ; les délégués, au nombre de cinq, ont été reçus par Sa Majesté, qui les a renvoyés avec de l’eau bénite de cour. La grève continue ; Charleroi est hérissé de troupes de toutes armes, qui n’attendent qu’une occasion de donner aux ouvriers, à coups de fusil, des marques de la bienveillance royale. » (Bulletin du 10 janvier 1875.) Il n’y eut toutefois pas de massacre cette fois. L’organe des ouvriers marbriers, sculpteurs, et tailleurs de pierres de la Belgique, la Persévérance (qui paraissait depuis juillet 1874), expliqua, dans un article reproduit par le Bulletin, que les législateurs ne pouvaient apporter aux maux dont souffre le prolétariat que « des palliatifs insignifiants et inutiles » ; l’ouvrier « ne doit attendre l’amélioration de sa position que de lui-même » ; « pour sortir de leur position misérable, les ouvriers doivent créer des sociétés de résistance, se coaliser contre le capital, et tâcher, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, de diminuer les heures de travail » ; « diminuer les heures de travail, voilà de quoi doivent s’occuper les sociétés de résistance[1] ». Et le Bulletin ajoutait : « Nous recommandons tout spécialement ces passages, caractéristiques des sentiments qui animent les ouvriers belges conscients, aux méditations de ceux des ouvriers suisses qui ont foi dans les réformes politiques et dans l’intervention du gouvernement ».


L’Internationale, en France, réduite à la propagande clandestine, n’avait pas progressé ; le procès de Lyon avait intimidé bon nombre de militants. Le mouvement des chambres syndicales, lui aussi, qui avait semblé, à la suite de l’Exposition universelle de Vienne, prendre une certaine importance, languissait, ou s’égarait dans de mesquines querelles personnelles : un journal qu’on avait projeté de fonder à Paris au commencement de 1874, et qui devait s’appeler le Syndical, ne put voir le jour à cause des discussions qui éclatèrent entre ses promoteurs.

La politique parlementaire offrait un spectacle écœurant. Des députés de la gauche étaient allés dîner à l’Élysée ; et Rochefort, qui venait de recommencer sa Lanterne, les fouaillait de ses phrases cinglantes :

« Parmi les dîneurs, — écrivait-il, — on remarquait M. Tirard, ancien ouvrier bijoutier, député de Paris. J’avais cru faire œuvre de démocrate en inscrivant sur la liste du Mot d’ordre, aux élections de février 1871, le nom de ce travailleur, sorti des rangs du peuple. Il me doit donc sa nomination, et ses électeurs sont conséquemment les miens. Or, il sait, comme moi, ce qu’ils sont devenus. Quarante mille d’entre eux ont été envoyés sur les pontons. Trente-cinq mille ont été tués dans ou après la lutte. Cinq mille sont en Nouvelle-Calédonie ; le reste est en exil... Si, pendant la période électorale, un orateur avait posé, dans une réunion publique, la question suivante à M. Tirard :

« Admettons un instant que, dans un temps prochain, une insurrection éclate dans Paris, et que le maréchal Mac-Mahon l’écrase dans le sang des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, et même des représentants du peuple. Admettons encore que, mis à la tête des affaires après cet exploit, ce même maréchal nous fasse arrêter tous tant que nous sommes ici, qu’il nous déporte et nous emprisonne ;... que son gouvernement soit la négation de la liberté individuelle comme de toutes les autres libertés... Poussons maintenant la fiction jusqu’à nous imaginer qu’après avoir réduit votre pays et vos

  1. L’auteur de cet article était, sauf erreur, Louis Bertrand, alors âgé de dix-huit ans.