Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/293

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l’appui financier de l’État et sous le contrôle démocratique du peuple travailleur. » À la suite de ces déclarations de principes venait l’énumération des revendications immédiates du parti : suffrage universel, législation directe par le peuple, service militaire obligatoire et établissement des milices, liberté de la presse, droit de réunion et d’association, justice gratuite, instruction obligatoire et gratuite, liberté de conscience, impôt progressif, droit de coalition, journée normale de travail, etc.

Notre Bulletin, en reproduisant ce projet, se garda bien de le faire suivre d’aucune observation malveillante : notre opinion était qu’il appartenait aux ouvriers allemands de déterminer eux-mêmes leur méthode de lutte. Il n’en fut pas de même chez quelques-uns des amis allemands de Marx, qui avaient vu de mauvais œil les efforts tentés pour l’union ; un fragment d’une lettre écrite en avril 1875 par Bracke à Sorge (fragment publié par celui-ci dans son volume de 1906) nous montre ce qu’on pensait dans ce petit groupe de mécontents : « Là-bas — écrit Bracke — vous avez la discorde. Ici nous avons l’unité, mais que le diable emporte toute l’histoire. Les lassalliens ont réussi à faire la barbe à nos gens de la belle façon (haben unsere Leute gehörig über den Löffel barbiert), et il sera difficile de maintenir le point de vue de l’Internationale. À Londres aussi on est très mécontent que Liebknecht, Geib, Motteler et d’autres aient donné leur adhésion à ce galimatias de programme (Wischi-Waschi Programm). Mais Bebel va faire ce qu’il pourra, et je l’aiderai. Nous verrons ce qui sortira de là. »

Le Bulletin du 18 avril annonça la mort du poète Georges Herwegh (7 avril 1875), l’auteur du Bundeslied der deutschen Arbeiter, composé par lui à la demande de Lassalle, et qui se termine par le couplet célèbre :

Bricht das Doppeljöch entzwei !
Bricht die Noth der Sklaverei,
Bricht die Sklaverei der Noth :
Brod ist Freiheit, Freiheit Brod ![1]

« Cet hymne socialiste, disait le Bulletin, restera le principal titre de gloire de Herwegh ; la postérité se souviendra que, pendant que la tourbe des lettrés allemands se prosternait devant M. de Bismarck, un homme du moins, le plus remarquable parmi les poètes de sa génération, a voulu se faire le chantre du prolétariat. »

Presque en même temps était mort, à Paris, Moritz Hess, cet ancien ami de Marx qui s’était signalé, après le Congrès de Bâle, par ses attaques contre nous. Voici l’oraison funèbre que lui fit le Bulletin :


Les journaux socialistes d’Allemagne disent du bien de lui, et nous ne demandons pas mieux que de croire que Moritz Hess a pu rendre quelques services au prolétariat de son pays ; mais nous ne pouvons nous empêcher de nous souvenir qu’il fut un de ceux qui, après le Congrès de Bâle, poussèrent le plus vivement à une scission dans l’Internationale ; les articles calomnieux qu’il publia dans le Réveil, de Paris, furent comme l’ouverture des hostilités dans cette longue et triste guerre qui mit aux prises les autoritaires et les fédéralistes. Nous sommes disposés à pardonner à des convictions sincères bien des vivacités de plume, bien des intempérances de langage ; mais nous n’avons jamais pu comprendre comment, chez certains penseurs d’Allemagne, une science réelle et un désintéressement incontesté pouvaient s’allier à tant de fiel et de venin.

  1. Je me risque à donner de ces vers la paraphrase rimée qui suit, parce qu’elle en précise le sens mieux que ne le ferait le mot à mot :
    Romps le double joug, révolté,
    De l’esclavage et de la faim !
    La liberté donne le pain,
    Le pain donne la liberté !