Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/402

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notre correspondant n’est pas un personnage de fantaisie, et sa lettre est parfaitement authentique.

Il y a dans les idées de J. B. C. un côté de vérité, qui n’est certes pas neuf pour nous ; ce n’est pas d’aujourd’hui que nous savons et que nous disons que si tout le monde travaillait, il suffirait d’une journée de sept heures pour accomplir tout le travail nécessaire à la société ; que si la production était organisée rationnellement, il n’y aurait ni chômage, ni misère ; que la propriété devrait être collective ; et qu’aujourd’hui déjà, il y a de nombreux exemples de l’existence de cette propriété collective au sein de la société actuelle.

Mais c’est une bien étrange erreur que de nous proposer comme modèle le fonctionnarisme. Est-ce qu’une administration gouvernementale nous offre aujourd’hui l’image d’une société égalitaire et libre ? Est-ce que ce sont les principes de la justice qui y président ? Si au contraire il y a au monde une chose ignoble, corrompue et corruptrice,... n’est-ce pas la bureaucratie ?...

Mais, répond-on, les chefs seraient élus par le suffrage universel. — Et qu’est-ce que cela fait ? les gouvernants élus par le peuple sont-ils moins despotes que ceux de droit divin ? Voyez un peu les républiques d’Europe et d’Amérique. Le président Grant et autres gouvernants des États-Unis n’ont-ils pas été nommés par le suffrage populaire ? et pourtant y a-t-il quelque chose de plus scandaleux, de plus corrompu que l’administration américaine ?

Un régime comme celui que propose J. B. C., où la propriété, censée retournée à l’État, serait en réalité entre les mains d’un petit nombre d’ambitieux et de démagogues, qui en disposeraient à leur caprice ; où le peuple tout entier, transformé en une armée de fonctionnaires, serait mené à la baguette par quelques chefs de service, et, recevant d’eux son salaire, verrait en eux des maîtres à qui il doit obéissance sous peine de manquer de pain ; et où le suffrage universel donnerait à cet esclavage des masses les dehors d’une fausse liberté ; un régime pareil, ce n’est pas la république démocratique et sociale, c’est tout simplement le césarisme tel que l’entendait Napoléon III.


Il me reste à dire la fin du séjour du pauvre Bakounine à Lugano.

Avant de prendre la résolution d’abandonner la villa et de se retirer en Italie, Bakounine tenta un effort pour obtenir de ses créanciers des concessions et un accommodement : il leur fit offrir, par un avocat, dix mille roubles (32,000 fr.) — il n’avait d’ailleurs à sa disposition qu’environ les deux tiers de cette somme — en échange d’une quittance générale de toutes ses dettes. Mais l’arrangement qu’il proposait ne fut pas accepté. Il fallut alors se résoudre au départ : Gambuzzi fit une démarche auprès du ministre Nicotera, qu’il connaissait, et obtint de celui-ci l’assurance que Bakounine pourrait aller planter sa tente en Italie sans être inquiété ; et il fut convenu que Mme Antonia se rendrait le plus tôt possible à Rome et à Naples pour préparer, dans la seconde de ces villes, la nouvelle installation de toute la famille.

Mais le mal qui minait Bakounine s’était aggravé, ses souffrances s’étaient accrues, et il était tombé dans un état inquiétant d’affaissement, tant au moral qu’au physique. Mme A. Bauler décrit en ces termes (Byloé, 1907) la situation du malade durant les semaines qui précédèrent son départ pour Berne :

« Est-ce parce que la mort l’avait déjà touché de son aile, que Michel Alexan-