Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/407

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que sa situation d’Alsacien d’origine et de Lyonnais de naissance mettait plus à même d’être entendu des nouveaux arrivés. Le dimanche 18 juin, Kahn, accompagné de Reinsdorf et de deux autres camarades, se rendit à l’hôtel du Léman, où logeaient les ouvriers lyonnais ; mais à peine avait-il commencé à causer avec eux, que sur la plainte d’un patron, M. Picard, qui était présent, la police arrêta Kahn, puis Keinsdorf, et les enferma à la prison de l’Évêché, où ils restèrent cinq jours au secret. Le juge informateur qui les interrogea le 22 juin, et consentit à les remettre en liberté provisoire, leur annonça qu’ils étaient poursuivis sur la plainte des patrons tailleurs pour atteinte à la liberté du travail, injures et menaces, et leur déclara que, quelle que fût l’issue du procès, ils seraient expulsés du canton de Vaud, « les autorités ne voulant pas garder des agitateurs à Lausanne, et n’y voulant pas non plus d’Internationale ».

L’arrestation arbitraire de Kahn et de Reinsdorf causa une grande agitation à Lausanne, et une assemblée ouvrière fut convoquée pour le dimanche suivant, 25 juin. Comme précédemment à l’occasion de l’arrestation des trois ouvriers charrons, un rapprochement s’opéra entre l’élément allemand et l’élément français, entre les adhérents de l’Arbeiterbund et ceux de l’Internationale : et le meeting du 25 juin applaudit à la fois Brousse, venu de Berne, Joukovsky, Kahn, Reinsdorf et Chevillard, et les hommes de l’Arbeiterbund et du Grütli, Hasenfratz et Krebser ; des télégrammes de Schaffhouse et de Winterthour affirmèrent les sentiments de solidarité des travailleurs de la Suisse allemande à l’égard de leurs frères de la Suisse romande. Le meeting vota une résolution affirmant « le droit illimité d’association, tant sur le terrain local que sur le terrain international »,

L’incident de Lausanne fit du bruit dans la Suisse entière ; d’autres assemblées de protestation eurent lieu dans différentes villes, à Berne, à Neuchâtel, à Genève, etc. Le Comité central de l’Arbeiterbund, voulant faire preuve de bonne volonté, adressa une pétition au « Haut Conseil fédéral » de la Confédération suisse, pour le prier de faire mieux respecter les lois et la constitution : naturellement, le Conseil fédéral mit la pétition au panier, en se déclarant incompétent. La démarche du Comité central ne fut pas approuvée, du reste, par tous les membres de l’Arbeiterbund ; ainsi, dans l’assemblée de protestation qui eut lieu à Genève, « plusieurs orateurs, membres de cette association, déclarèrent qu’il ne fallait pas s’adresser au Conseil fédéral dans des cas pareils, que c’était du temps perdu ; que les ouvriers devaient s’habituer à n’attendre leur salut que d’eux-mêmes, et s’organiser pour être un jour eu état d’opposer la force à la force » (Bulletin).

Le 20 juin, Spichiger répéta à Saint-Imier la conférence qu’il avait faite à la Chaux-de-Fonds le 9 mai ; et le 23 juin une assemblée générale de la Fédération ouvrière du district de Courtelary formula un programme indiquant divers points sur lesquels pourraient être tentées des réformes immédiates, utiles à l’industrie horlogère et aux intérêts généraux de la population. Mais le mouvement d’opinion que l’Internationale avait cherché à créer à la Chaux-de-Fonds et au Val de Saint-Imier à l’occasion de la crise ne devait pas aboutir à des résultats pratiques : la masse de la population resta indifférente.


Pendant que ces choses se passaient dans les Sections jurassiennes, Bakounine était malade à Berne sans qu’aucun de nous s’en doutât encore, ni en Suisse ni en Italie. On a raconté — mais ce récit est en contradiction avec ce qu’on lira plus loin dans la lettre d’Adolphe Reichel (pages 32 et 34) — que dès les premiers jours, le professeur Vogt avait reconnu que le cas était désespéré, et que, sur la demande formelle de son ami, il le lui avait dit. Il s’agissait d’une paralysie de la vessie, d’une inflammation chronique des reins, et d’une hypertrophie du cœur compliquée d’hydropisie ; bientôt l’urémie produisit ses conséquences fatales, le cerveau se prit, et le malade fut envahi par la somnolence.

Quoique, depuis le 25 septembre 1874, les relations directes entre Bakounine et moi ne se fussent pas renouées, j’avais reçu de ses nouvelles aussi longtemps que Cafiero avait habité la Baronata ; et j’en avais eu encore en