Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/416

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La triste nouvelle de la mort de notre cher compagnon Michel Bakounine nous a causé à tous un profond chagrin ; la perte de cet infatigable et courageux champion du collectivisme laisse un vide qu’il sera bien difficile de combler.


En Portugal, le journal le Protesto, bien qu’il ne fût pas des nôtres, publia un article de condoléance écrit en très bons termes : le Bulletin le reproduisit, en remerciant les socialistes portugais de leurs sentiments de fraternité, dans son numéro du 20 août. Voici ce qu’on lit dans ce numéro :


Le Protesto de Lisbonne, organe des socialistes portugais, appartient à l’école anglaise, et, lors du conflit qui a éclaté dans l’Internationale, à la suite du Congrès de la Haye, il s’était rangé du côté de Karl Marx et de ses partisans. Néanmoins, à l’occasion de la mort de Bakounine, il a adressé à la Fédération jurassienne des paroles de sympathie ; voici comment il s’est exprimé dans son n° 49 :

« Nous enregistrons avec regret la mort de Michel Bakounine, qui a joué un des premiers rôles dans le mouvement du prolétariat moderne.

« Sur sa tombe doivent se terminer les luttes qui ont eu lieu, durant les dernières années de sa vie, au sein du parti prolétaire, et, en exceptant quelques actes moins réfléchis de sa vie publique, nous devons nous affliger de sa mort comme de celle de l’un des plus énergiques révolutionnaires socialistes.

« Nous réservant de publier plus tard un résumé de sa biographie, nous témoignons à la Fédération jurassienne nos regrets de la mort de l’un de ses membres les plus énergiques, que la vieillesse et les dégoûts avaient fait depuis quelques années se retirer de la vie active. »

Nous remercions notre confrère le Protesto des sentiments de fraternité et de bienveillance dont cet article fait preuve à notre égard, et nous sommes heureux de constater que partout le besoin d’union est ressenti de même.


Un journal de tendances analogues à celles du Protesto, le Vorwärts de Bâle, organe d’un groupe de « démocrates » bâlois, consacra, lui aussi, à la mémoire de Bakounine un article convenable. Bien qu’il fût hostile à ses doctrines, il rendit hommage à son génie, et il le défendit contre l’ignoble calomnie qui l’avait représenté comme un « agent russe » ; il résuma en ces termes son jugement sur le grand révolutionnaire :


Bakounine, dont le physique était d’un athlète, était un géant par l’esprit. Seulement, dans son indomptable énergie, dans son ardeur dévorante, il manquait de sens pratique.

Avec Bakounine a disparu une puissante personnalité, comme il n’en apparaît que rarement dans l’histoire. S’il avait cédé aux séductions de ses confrères de l’aristocratie russe, et qu’il fût entré au service de l’État, il serait sans doute arrivé dans sa patrie, étant donné des circonstances analogues, à une position aussi élevée que celle que Bismarck occupe en Allemagne. S’il était resté dans l’armée, et qu’au lieu d’appliquer ses éminentes facultés à l’étude des questions philosophiques et sociales, il les eût consacrées aux choses militaires, il serait peut-être devenu un Moltke russe, et aurait fini ses jours dans la gloire et les honneurs officiels. Mais